Gabino Rodriguez : D’amour et d’eau fraîche
Le Festival TransAmériques continue d’aller à la rencontre des scènes latino-américaines et nous propose cette année Asalto al agua transparente et Catalina, deux pièces du couple formé par les Mexicains Gabino Rodriguez et Luisa Pardo. On a discuté avec le jeune homme.
On sait à quel point Marie-Hélène Falcon, directrice artistique du FTA, aime les artistes qui rompent avec les esthétiques dominantes. Après nous avoir donné l’an dernier un aperçu de ce qu’elle a identifié comme le "nouveau théâtre chilien" (avec deux excellentes pièces du Teatro en el blanco de Santiago), elle nous invite cette année au coeur du "nouveau théâtre mexicain". Gabino Rodriguez et Luisa Pardo, codirecteurs de la compagnie Lagartijas tiradas al sol (Lézards épivardés au soleil), n’ont jamais encore présenté leur travail en dehors du Mexique, mais appartiennent à une jeune génération d’artistes qui cherchent de nouvelles manières de travailler et de faire bouger le théâtre mexicain.
Explication de Rodriguez: "Puisque l’État n’investit à peu près rien dans les arts et le théâtre au Mexique, chaque artiste doit travailler énormément pour survivre. Ça donne un milieu très dynamique, mais qui a le gros désavantage de ne jamais disposer de temps de recherche et d’expérimentation. Comme Luisa et moi, beaucoup de jeunes artistes essaient de lutter contre cette dynamique et de favoriser un travail à long terme. On essaie aussi de s’éloigner d’un type de jeu très répandu au Mexique, dans lequel les personnages sont fabriqués très artificiellement par les acteurs. Pour nous, le personnage ne doit jamais surpasser l’acteur et doit rester très près de sa personnalité, sans stylisation excessive."
Les lézards au soleil font aussi un théâtre quasi documentaire et s’amusent à brouiller les frontières entre fiction et réalité, en plus de porter une parole très socialement engagée. C’est du moins le cas dans la première des deux pièces, Asalto al agua transparente. Emmêlant la fiction, les faits, les statistiques et la romance, le couple nous y raconte en quelque sorte l’histoire de sa rencontre, puis l’étonnante histoire de la ville de Mexico, construite sur un lac que les conquérants espagnols ont asséché pour écraser la capitale aztèque qui s’y trouvait. Mexico, ville au sous-sol dangereusement boueux et instable, a depuis dû irriguer la plupart de ses lacs et cours d’eau pour éviter l’inondation. Un désastre qu’il faut dénoncer haut et fort.
"Je suis très optimiste par rapport au rôle social que peut jouer le théâtre, dit Rodriguez. En tout cas, l’art que j’aime est très collé à l’actualité et au réel, et je pense qu’on peut semer par le théâtre une graine de conscience sociale chez certains spectateurs, et cette graine peut grandir et se propager plus rapidement qu’on ne le croit."
Quand il ne se passionne pas pour l’histoire de son pays, Rodriguez n’en a que pour l’amour et les femmes. Dans Catalina, sa démarche de théâtre documentaire est transmuée pour se mettre au service d’un récit de rupture amoureuse. "Mon travail d’artiste consiste ici à déplacer ou à faire dévier le réel de quelques degrés pour le projeter dans les imaginaires des spectateurs et attiser chez eux la sympathie comme le doute."