Jeanne Mordoj : Du poil de la belle
La Française Jeanne Mordoj arbore fièrement la barbe dans son solo L’Éloge du poil, manière de réflexion existentielle aux accents forains. Entre attraction et répulsion.
Jeanne Mordoj vient du milieu du cirque, où elle a évolué pendant plusieurs années. À l’instar de ses deux solos précédents, L’Éloge du poil (écrit en collaboration avec le metteur en scène Pierre Meunier) bénéficie de cette influence, qui se traduit par un intérêt pour la manipulation d’objets et pour d’autres disciplines comme la contorsion, notamment. "Il y a beaucoup de prouesses", souligne-t-elle. Mais toujours au service de la dramaturgie.
De même, l’artiste y reprend son thème de prédilection. "Je travaille depuis longtemps sur la féminité et j’avais envie d’en parler d’une façon un peu plus sombre, c’est-à-dire de me pencher sur les monstres intérieurs, raconte-t-elle. Je trouvais que la femme à barbe illustrait bien cela. En plus, ce personnage me touchait beaucoup dans son côté forain, marginal et attractif-répulsif."
Elle a donc imaginé une femme à barbe d’aujourd’hui qui, non contente de simplement assumer sa pilosité, va jusqu’à en faire un élément de beauté. Une idée qu’elle trouvait amusante, ne serait-ce qu’en raison du traitement réservé au poil dans la société actuelle. Sans compter qu’elle lui permettait également d’explorer d’intéressantes zones grises. Au final, il en ressort une pièce qu’elle qualifie d’"éloge de la liberté".
Pour servir sa vision, Jeanne Mordoj a par ailleurs dû développer de nouvelles techniques. "Certaines matières que j’aimais manipuler avaient leur place dans ce spectacle, par leur étrangeté, leur poésie et, parfois, leur caractère attractif-répulsif, précise-t-elle au sujet, par exemple, des bambous et des jaunes d’oeuf. Puis, j’ai appris la ventriloquie parce que j’avais envie de faire parler des crânes d’animaux. Je désirais travailler avec des matières mortes, des objets qu’on jette, qu’on ne veut pas voir." Ce qui se prête bien au propos, soit un questionnement sur la mort et le sens de l’existence.
Autre particularité de L’Éloge du poil: le lien très spécial unissant la comédienne à l’auditoire. "Il y a une vraie provocation et, en même temps, une vraie générosité, observe-t-elle. Je suis toujours en contact avec les gens; ils sont très proches, très vulnérables, complètement impliqués."
La scénographie contribue pour beaucoup à cet effet, alors qu’un gradin en fer à cheval de 200 places avec, au centre, une scène surélevée y crée, un peu comme au cirque, un espace clos donnant au public l’impression de pénétrer dans un autre monde. "Je pense que le spectacle ne serait pas aussi fort, aussi juste sur un plateau de théâtre normal", renchérit-elle.
Depuis trois ans, cette oeuvre a touché, dérangé, émerveillé beaucoup de monde. Des réactions généralement positives, que Jeanne Mordoj s’explique ainsi: "Quand on crée un spectacle, au-delà de savoir s’il est réussi, il faut aussi se demander: "Est-ce qu’il est juste dans l’époque?" Là, je sens qu’il l’est. Il parle de choses vraiment d’aujourd’hui."