Tony Nardi : Coup de gueule
Sous le titre "…And Counting!" (Letter Three), l’acteur canadien Tony Nardi livre, à l’occasion du Festival TransAmériques, une troisième lettre dénonçant l’inertie, l’asservissement et la pauvreté du milieu théâtral de son pays.
Quand Tony Nardi, acteur à la parole libre et au verbe fracassant, est venu présenter sa Letter Two à Montréal l’automne dernier, une partie du milieu théâtral eut pour une rare fois envie de démentir le consensus voulant que le théâtre montréalais soit "en pleine effervescence". Dénonçant la complaisance et l’asservissement culturel comme l’incompétence des journalistes et des metteurs en scène torontois, Nardi a frappé une corde sensible chez certains gens de théâtre montréalais qui jugent que la situation n’est pas plus rose ici qu’à Toronto. Il y eut des échanges stimulants et quelques anicroches, mais de manière générale, la diatribe de l’homme de théâtre d’origine italienne semble avoir réveillé, du moins l’espace de quelques soirées, un vent de révolte qui ne demandait qu’à se déployer.
En l’invitant à présenter sa Letter Three dans le même esprit énergique et revendicateur, le Festival TransAmériques cherche sans doute à faire résonner encore plus fort, et auprès d’un plus large public, cette parole essentielle. Car derrière les préoccupations spécifiquement théâtrales de Nardi, se dessine le constat d’une société qui a du mal à comprendre le rôle de ses artistes. "Il y a quelques exceptions, explique Nardi, comme René-Daniel Dubois au Québec, mais je constate que le discours de l’artiste n’a pas de valeur dans cette société. Les gens de théâtre, par exemple, préfèrent le prestige d’appartenir à des institutions à la joie de prendre parole par le biais d’un art pertinent et rigoureux. Dans cette société, il est plus attrayant d’être bureaucrate qu’artiste. C’est à n’y rien comprendre."
Seul en scène avec son ordinateur portable, et cette fois sans sous-titres (dommage pour les unilingues francophones), Nardi livrera son nouveau brûlot dans l’espoir avoué de susciter le débat. À la fois bilan des deux premières lettres et nouvelle salve contre le financement de la culture, la troisième lettre fusille plus directement le Conseil des arts de l’Ontario. "Depuis quelques années, j’investis tout mon temps et mon argent dans ce projet, sans soutien. Le Conseil des arts, en plus de ne pas m’accorder de financement, a jugé que mes lettres n’avaient pas d’impact, sans égard à leur contenu et à l’importance des enjeux qui y sont soulevés."
Plus largement, Nardi dénonce le silence et le manque de soutien de ses collègues du milieu théâtral torontois, qui ont plus ou moins reçu ses lettres comme une attaque, au lieu d’y voir une occasion de réfléchir. "Ça me laisse croire que le problème du financement vient d’abord du fait qu’il n’est pas possible de parler librement dans ce milieu où les gens ne veulent pas entendre la critique. Mais comment se sent-on légitimé de présenter sur scène sa vision du monde si on n’arrive même pas à voir plus loin que soi dès qu’une question polémique est soulevée par un pair? Je pose la question." Discussions vives en vue.