Philippe Quesne : Microcosme
Si Bernard Werber est en littérature celui qui a le mieux pointé les ressemblances entre les insectes et les humains, le metteur en scène français Philippe Quesne, avec sa pièce L’Effet de Serge, est sûrement le seul homme de théâtre à considérer les spectateurs comme des "entomologistes". Conversation.
"J’aime croire que je donne à mes spectateurs l’occasion d’observer une communauté humaine comme ils observeraient les comportements d’un animal, explique Philippe Quesne. Mes acteurs jouent comme dans un monde un peu vitré, mais à l’intérieur duquel il est possible d’entrer pour observer de plus près."
L’Effet de Serge, en effet, nous invite à entrer chez Serge, jeune homme seul qui crée de petites performances pour un public d’amis et d’initiés, à l’aide d’objets quotidiens et de petits rayons laser. Serge est peut-être une figure de la solitude, mais il est aussi un produit de la société du spectacle et du divertissement qui aime plus que tout brouiller les frontières entre la réalité et la fiction en invitant ses spectateurs sur sa petite scène-appartement. "On invite derrière la vitre imaginaire des gens qu’on prend dans chaque ville qu’on visite, la plupart du temps des acteurs, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Ces gens amènent des codes de jeu différents, n’ayant pas appris le théâtre de la même manière et ne partageant pas le même arrière-plan théâtral que mon comédien Gaëtan Vourc’h."
Et la formule fait mouche. Partout où L’Effet de Serge est passé, on a souligné qu’il y avait là une sympathique et ludique mise en abyme de la représentation théâtrale, doublée d’une pointe d’ironie critique. Sur ce point toutefois, Quesne n’est pas totalement d’accord. "Pour moi, dit-il, ce n’est pas forcément de l’ironie. C’est un certain genre d’humour, mais il se trouve que pour moi, le personnage de Serge est très attachant, et je ne désire aucunement me moquer de ce qu’il produit. Si les situations portent à rire, ça vient du jeu, ça vient du fait qu’on observe les comédiens comme un petit monde d’insectes, de manière un peu absurde. Je crois à une forme d’humour dans l’art qui soit totalement compatible avec une certaine poésie."
Plasticien et scénographe avant tout, Quesne a inventé une méthode d’écriture scénique qui s’appuie sur une vision très précise des relations entre le corps et l’espace. "Je vois la scène comme un espace vivarium, et ma préoccupation première est d’inventer des espaces de jeu. Le lieu à lui seul peut raconter, il transporte des sensations et propose des petits mondes qu’ensuite il faut investir de la présence d’un acteur. Nous jouons donc beaucoup avec les objets, avec les proportions dans l’espace, avec les couleurs et les matériaux. Dans L’Effet de Serge, il y a un bazar d’objets et un espace vide qui pourrait ressembler à une salle d’attente, et toute l’écriture du spectacle s’est faite en prenant appui sur ce lieu. Les comédiens l’utilisent comme repère et se permettent de réinventer à partir de ce lieu. Il y a bien un texte écrit, mais il n’est pas immuable, c’est l’espace qui dicte le spectacle, ainsi que le rapport à la musique et à la lumière. Ainsi le texte est élastique et ouvert à l’improvisation."