Rick Miller : L'art du portrait
Scène

Rick Miller : L’art du portrait

Né et formé à Montréal, le comédien Rick Miller brûle les planches aux quatre coins de la planète dans le Lipsynch de Robert Lepage. Ces jours-ci, profitant d’une petite pause dans la tournée, l’homme présente aux Montréalais, principalement en français, son solo Bigger Than Jesus.

Une messe multimédia drôle et poignante. Voilà comment Rick Miller décrit Bigger Than Jesus, le solo qu’il a créé avec le metteur en scène Daniel Brooks, directeur de la Necessary Angel Theatre Company de Toronto. « L’idée de ce solo a germé au début des années 2000, précise Miller. Je jouais dans Jesus Christ Superstar, la comédie musicale, j’avais les cheveux longs, une barbe, et j’approchais de 33 ans, l’âge un peu mythique de Jésus. Disons que ces éléments-là ont fortement contribué à la naissance du spectacle. »

Vous aurez compris qu’il y a dans l’aventure une bonne part d’autobiographie et d’identification, ce que Miller appelle du réel et de l’authentique. « J’ai été élevé dans la religion catholique. À l’adolescence, j’ai rejeté ça assez radicalement. Mais je n’ai jamais oublié la liturgie, le rituel de la messe. Un jour, je me suis demandé pourquoi quelqu’un qui n’avait pas mis les pieds dans une église depuis 15 ans connaissait encore le texte de cette « pièce de théâtre » par coeur. J’en suis venu à la conclusion que cette histoire est l’une des plus séduisantes, des plus impressionnantes et des plus inspirantes qui soient. »

Au coeur du solo, on trouve un personnage qui a beaucoup à voir avec celui qui l’incarne, un homme de 33 ans obsédé par Jésus, tout en étant convaincu que ce dernier n’est pas le fils de Dieu. Pourtant, Miller se défend bien de vouloir provoquer ou remettre en cause la foi de qui que ce soit. « Ce n’est pas le but. Je voulais avant tout utiliser le texte d’une messe, une chose sacrée, dans un contexte théâtral, séculaire, et essayer de trouver ce qui dans le théâtre peut nous transformer, nous entraîner ailleurs. Il me semble que c’est ce que le théâtre et la religion ont en commun. »

Une portée universelle

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas que les membres de la communauté catholique mondiale qui s’intéressent au spectacle. « Heureusement, lance Miller, parce que je n’aime pas trop l’idée de faire un spectacle pour un groupe en particulier. En plus des catholiques, pratiquants ou non, il y a des croyants chrétiens, juifs, musulmans et même mormons qui ont vraiment apprécié la pièce. »

La portée serait donc plus universelle, plus mythique. « Comme ça fait longtemps que je présente le spectacle en tournée, je commence à bien en connaître les effets. Il suscite des réactions très différentes en fonction de la relation que les gens entretiennent avec la foi. Il y en a qui trouvent ça intéressant d’une façon intellectuelle ou ironique, alors que d’autres se lancent dans l’aspect spirituel, essaient de relier théâtre et religion par l’idée de la communion, du rituel, du sacré. »

Selon Miller, quelque chose dans le spectacle dépasse le dogme ou la doctrine, touche à toutes les religions. « Quand on commence à interpréter la Bible ou le Coran autrement que dans une perspective historique, il y a nécessairement beaucoup de problèmes. Beaucoup de gens sont fâchés de la façon dont leur vie spirituelle a été gâchée par les extrémistes. Plusieurs d’entre eux se sont reconnus dans le spectacle. Je n’avais pas du tout prévu ça, mais le solo est devenu un moyen de rassembler les communautés religieuses. »

Les réactions envers ce spectacle multimédia que Miller compare à un portrait cubiste de Jésus, une nouvelle interprétation du personnage, sont pour le moins encourageantes. « Je suppose que ça signifie que mon questionnement est partagé par beaucoup de gens. Selon moi, la religion se trouve dans les questions, pas dans les réponses. Il faut croire qu’il y avait de la place pour un discours inclusif sur le sujet, une danse entre la révérence et l’irrévérence. La communion de l’esprit, pour moi, c’est aussi rire et réfléchir, ensemble, dans une salle de théâtre. »

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ICI ET MAINTENANT
À la manière de Robert Lepage, Miller et Brooks ne cessent de faire évoluer leur spectacle depuis 2003. « Il faut dire que le christianisme ne cesse de changer, explique le comédien, de faire les manchettes pour différentes raisons. Des fois, il y a un film de Mel Gibson qui sort. Des fois, c’est un pape qui meurt. Ce sont des choses qui affectent le spectacle, font bouger un peu le texte. Mais je dirais que la forme est pas mal trouvée. À part quelques ajustements culturels, des variantes pour l’Italie, l’Allemagne ou le Québec, on est pas mal confiants. » Pour Miller, jouer Bigger Than Jesus à Montréal, en français, revêt un sens particulier. « Je tenais à le jouer en français parce que les racines francophones dans le catholicisme sont très profondes, et en même temps parce que ce sont des débats d’ordre politique qui sont dans les journaux tous les jours. Ça fait partie de notre ADN. Qu’on le veuille ou non, c’est là! »