Tânia Carvalho : Système d'équations
Scène

Tânia Carvalho : Système d’équations

Issue de la nouvelle vague de la danse portugaise, Tânia Carvalho fusionne la danse et la musique de très intéressante manière dans From me I can’t escape, have patience!, un spectacle présenté à l’occasion du Festival TransAmériques.

Depuis son tout premier solo, qu’elle dansait en silence sur un rythme bien défini, Tânia Carvalho cherche à resserrer le lien entre la danse et la musique. Son rêve: arriver à ce que les gens apprécient ses chorégraphies sans se poser de questions, comme ils le font en écoutant de la musique. Le moyen de s’en approcher: donner une portée émotive à ses mouvements pour faire de ses oeuvres un parcours à travers une suite d’émotions. D’où leur très forte dimension expressionniste. "Ça n’empêche pas les gens de s’interroger!" reconnaît la chorégraphe en riant.

Dans la poursuite de ses ambitions, elle se frotte assez tôt au piano et à la composition pour percer les secrets de la création musicale, et finit par penser la danse comme du son. "J’ai appris que le mouvement et le son étaient totalement opposés, confie la créatrice membre du collectif Bomba Suicida. En musique, tout est très mathématique et le résultat est très émotionnel. En danse, la création est très émotionnelle et le résultat est une énigme qu’on interroge sans cesse." La solution pourrait-elle être alors de rendre la création chorégraphique plus mathématique?

"Je ne fais pas d’équations quand je crée, mais j’essaie de tracer des sortes d’images sur le sol avec les déplacements des danseurs et je joue sur les variations de vitesse de leurs mouvements pour créer le type d’évolution rythmique qu’on peut trouver dans la musique", explique-t-elle. Dans la pièce qui marque sa première incursion en territoire canadien, les quatre interprètes (Marlène Freitas, Luis Guerra, Maria João Rodrigues et Ricardo Vidal) occupent une position de départ qui inscrit les angles d’un carré sur le sol. Placée côté jardin, la chorégraphe, totalement engagée dans son rôle de pianiste, semble les diriger.

"Les danseurs sont comme des marionnettes manipulées par le son, explique celle qui est aussi chanteuse et actrice. D’abord, elles montrent ce qu’elles savent faire, exécutent leur propre partition, puis elles changent de place pour essayer d’imiter quelqu’un d’autre et en éprouvent de la confusion. Il se produit alors une espèce d’explosion, elles deviennent un peu folles, puis reviennent à leur point de départ pour reprendre leurs propres mouvements. Ça se passe trois fois de suite, et à la fin, elles se résignent à accepter qu’elles ne peuvent échapper à ce qu’elles sont." D’où le titre From me I can’t escape, have patience!, inspiré d’un poème d’une compatriote.

L’on jurerait que la musique commande le mouvement, mais la grande surprise est que ce dernier a été en amont et que Carvalho a construit la partition musicale sur la chorégraphie à partir d’improvisations au piano et de morceaux connus sélectionnés pour leur concordance particulière. "Je commence toujours par improviser en solo dans le silence, indique la Lisboète de 35 ans. J’étudie les mouvements que je crée et je les transmets ensuite aux danseurs en studio en donnant des directives précises sur l’expressivité et le rendu que je souhaite obtenir." Cette fois, elle les a renvoyés au jeu d’acteur du Metropolis de Fritz Lang.

Une oeuvre intrigante et singulière qui ouvre de nouveaux horizons dans notre paysage chorégraphique.