Joey Tremblay : Mémoire affective
Scène

Joey Tremblay : Mémoire affective

Joey Tremblay a puisé dans ses souvenirs de jeunesse fransaskoise; il en a tiré l’image d’un éléphant, à l’origine de sa pièce Elephant Wake.

"Quand j’étais jeune, ma grand-mère artiste avait fait un éléphant grandeur nature, en papier mâché, raconte Joey Tremblay. J’ai toujours beaucoup aimé cette image: un éléphant de papier mâché dans les Prairies… Même à cet âge, je crois que, d’une certaine façon, il m’apparaissait comme un être fragile, peut-être comme la culture fransaskoise dans les Prairies, comme une sorte d’image délicate mais, en même temps, un peu déplacée. C’était beau mais fragile et, peut-être, temporaire. Comme l’est la culture qui, selon moi, est toujours en évolution."

Elephant Wake, que Joey Tremblay a écrit et interprète, dans une mise en scène de Bretta Gerecke, présente Jean-Claude, septuagénaire, dernier habitant de son petit village francophone déserté au profit de la grande ville voisine – anglophone. À travers son personnage, l’auteur se pose la question de la culture et de son évolution. Mais aussi, de façon plus globale, il réfléchit au changement.

"Plus tard, lors d’un party, alors que ma grand-mère était en voyage, quelqu’un a mis l’éléphant sur le chemin, et l’a frappé avec une auto. L’éléphant est alors devenu un double symbole: celui de cette culture délicate, mais en même temps, l’image de la fin d’une étape de la jeunesse. Ce que j’ai découvert en faisant cette pièce, c’est que le changement est inévitable; il est impossible de conserver la culture, quelle qu’elle soit, dans un état d’immobilisme. C’est comme l’enfance: on ne peut la retenir. Il y a toujours une tension entre la nécessité d’avancer et l’obligation, pour y arriver, de renoncer à quelque chose."

Jean-Claude, comme en une soirée funéraire, veille sur son village, ses habitants dont il raconte, entre rires, chansons, tristesse, l’histoire, et se souvient, avec difficulté, de sa lointaine langue maternelle. Seul en scène pendant près de deux heures, Joey Tremblay incarne le vieil homme et prête sa voix à divers personnages. Il joue aussi, chaque soir, avec un "allié" différent: un spectateur, avec qui il dialogue. Ainsi, si le spectacle est le même, il est modelé chaque soir d’imprévu.

"Pour me préparer, je suis un peu fou: j’ai besoin d’une journée entière de solitude avant de jouer, afin d’être totalement ouvert à chaque offre qui me viendra de l’assistance. Ce qui sera très intéressant, à Québec, c’est que les offres seront en français!" Après avoir joué à Edmonton et à Édimbourg, en 1995, et présenté le spectacle en tournée au Canada depuis 2008 dans une nouvelle mouture, l’artiste rencontrera pour la première fois avec sa pièce, à Québec, un public francophone. "Quand j’ai joué à Ottawa, une chose très intéressante est arrivée. Après le spectacle, les francophones qui y avaient assisté me disaient à quel point la pièce était prenante pour eux: comme si une culture avait été envoyée au loin, et que la pièce en était l’écho qui revenait vers eux."

"Dans l’ensemble, c’est une pièce pleine d’émotions. Dans une veillée funéraire, on peut rire, la conversation peut être belle et sublime, mais en même temps, on peut entendre des blagues. Elephant Wake est une veillée, et je veux vraiment qu’elle contienne tout le spectre des émotions qu’on ressent quand quelqu’un meurt, qu’on y voie tous les aspects de l’être humain."