Luc Guérin : L’allié de personne
Fort de ses 25 ans de métier, Luc Guérin s’apprête à incarner Harpagon dans L’Avare, de Molière, mis en scène par Serge Postigo à l’occasion du Festival Juste pour rire.
Christian St-Pierre
Photo : Patrice Ouimet
En théorie, Luc Guérin devait passer l’été 2010 à se la couler douce. "Je n’ai pas eu beaucoup d’étés à moi depuis que je suis dans le métier. Ces quatre dernières années, j’ai produit des spectacles à L’Assomption, avec Martin Drainville. Cet été, je m’étais promis une pause. Mais quand Serge Postigo m’a proposé le rôle d’Harpagon, je n’ai pas pu refuser. Il y avait là une possibilité, un potentiel de grande rencontre. J’ai dû décliner un énorme contrat à la télévision pour pouvoir le faire et je ne le regrette pas un instant. C’est une étape importante pour moi. Je le prends comme un grand privilège."
Ce rôle, réputé pour être particulièrement athlétique, joué par les plus grands comédiens, Guérin avoue l’aborder avec une certaine insouciance. "Je n’ai jamais assisté à une représentation de L’Avare et je n’ai jamais vu le film mettant en vedette Louis de Funès. J’ai donc choisi de miser sur ma propre dégaine en comédie. Pas question de bouder mon plaisir sous prétexte que ça pourrait ressembler à ce qui a été fait avant. J’ai une piste de course, un rôle qui est un bolide extraordinaire, je ne vais quand même pas me priver de ça. J’ai juste envie de m’amuser. Cela dit, c’est tellement exigeant et sportif qu’il m’arrive de me demander ce que je suis allé faire dans cette galère."
En même temps, Guérin n’est pas tout à fait étranger à la langue et au comique de Molière. Il a été Cléante dans Le Malade imaginaire (TNM, 1988) et Silvestre dans Les Fourberies de Scapin (JPR, 1992). "Ce qui me plaît énormément chez Molière, c’est son amour de l’acteur. Son théâtre laisse de la place à l’interprète. Les personnages ont un sens de la répartie fabuleux, mais aussi une délinquance, une grande liberté qui vient probablement de la commedia dell’arte. C’est ludique, bon enfant, tout en étant brillant, réfléchi, critique envers la société."
N’est-ce pas précisément cet amalgame de rire et de dérision qui fait de Molière l’auteur tout désigné pour la saison estivale? "C’est un théâtre classique, estime Guérin, mais qui invite tous les publics, ceux qui veulent rire, se dilater la rate, s’amuser, mais aussi ceux qui veulent un contenu. Tout cela servi dans une langue magnifique et très accessible. Molière, c’est une valeur sûre. En même temps, si peu de producteurs privés osent le programmer, c’est parce que c’est extrêmement coûteux à monter. Il faut, au départ, casser son cochon."
Une chose que Juste pour rire n’a pas eu peur de faire puisque le spectacle sera mis en scène un peu comme en 1668, c’est-à-dire, notamment, que le plateau sera éclairé chaque soir par 2000 chandelles. Guérin explique: "Je crois, modestement, sans prétention, que la proposition de Postigo va nous permettre de retrouver l’esprit de l’époque. Ce n’est pas juste un clin d’oeil, les chandelles. Tout le spectacle est unplugged. Il n’y a pas d’électricité du tout. Il y a trois musiciens sur scène. Pas d’amplification des voix. Même le choix des comédiens, tous jeunes à part moi, respecte le fonctionnement de la troupe chez Molière. Je dirais que tout cela contribue à créer une magie, une magie qui nous soutient."
Ainsi, Bruno Marcil est Cléante, Salomé Corbo, Élise, Éric Bruneau, Valère, Sophie Desmarais, Marianne, Frédéric Blanchette, Maître Jacques, Karine Belly, Frosine et Marc Beaupré, La Flèche.
De Meunier à Molière
Entre Molière et Claude Meunier, qu’il a beaucoup joué, Luc Guérin fait des rapprochements. "Vingt ans après la création des Voisins, les spectateurs riaient autant et aux mêmes endroits. Les gens vont dire que je suis fou, mais il y a, selon moi, du Molière chez Meunier. Dans le sens que c’est intemporel, drôle, bien ficelé, et en même temps que ça comporte une féroce critique sociale basée sur une exagération des traits. J’ai toujours essayé, en comédie, de chercher la vérité, de laisser la gestuelle s’exprimer sans "faire le comique". Je pense que c’est ce que demandent le théâtre de Meunier et celui de Molière."
Aux yeux du comédien, Harpagon, l’un des avaricieux les plus connus de la littérature mondiale, n’est pas sans nuances. "Si on prend Harpagon à la lettre, sa structure, sa conception, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un monstre. Un homme qui n’a aucune morale et qui ne le sait pas. On pourrait donc le jouer de manière extrêmement dramatique. Mais ce serait oublier que la pièce est avant tout une comédie. Harpagon n’est pas foncièrement méchant, pas aussi ratoureux et calculateur qu’on pourrait le croire, pas détestable comme Séraphin Poudrier. Personnellement, je le trouve candide, tête heureuse, naïf comme un enfant, paranoïaque et pétri d’insécurité. En somme, victime de son vice."