L'Avare : Seul au monde
Scène

L’Avare : Seul au monde

L’Avare mis en scène par Serge Postigo est efficace et d’une appréciable sobriété.

Pour un metteur en scène, le théâtre de Molière est un territoire des plus glissants. Quand Serge Postigo s’attaque à L’Avare, en plein été et de surcroît sous la bannière du Festival Juste pour rire, on s’inquiète un peu. L’homme va-t-il trouver la juste mesure? Doser les effets comiques? Respecter les zones d’ombres, la gravité, la détresse fondamentale d’Harpagon? Rassurez-vous, la pièce est bien loin de subir un traitement comparable à celui offert au Bourgeois gentilhomme il y a quelques mois entre les murs du TNM.

En faisant d’abord et avant tout entendre le texte, en le laissant produire son effet, le metteur en scène évite la plupart des écueils, nous épargne nombre de clichés. Le parti pris esthétique – monter la pièce comme en 1668, sans électricité et avec force chandelles – est garant d’une certaine sobriété, un minimalisme des plus appréciables qui rejaillit sur l’ensemble de la représentation. Sans amplification des voix, sans musique préenregistrée et sans variations d’intensité et de couleur dans la lumière, on se délecte des mots et des situations, de l’esprit qui a fait la réputation des personnages de Molière.

Cela dit, Postigo ne s’affranchit pas complètement du comique à l’américaine. Dans sa mise en scène, le burlesque, le clownesque et la caricature pointent ici et là. Un comédien qu’on entend vomir en coulisses. Un autre qu’on voit descendre un escalier sur le derrière. Des trucs éprouvés, infaillibles. Heureusement, on a aussi droit à des procédés un peu plus fins. On vous laisse découvrir, notamment, de quelle façon les chevaux décharnés d’Harpagon sont représentés et comment la scène finale, dite de la reconnaissance, est plus délicieusement absurde que jamais.

Dans la douce lumière ambrée des chandelles, sous les candélabres et les feux de la rampe, dans les marches d’un escalier en bois, autour d’une table qui se transforme parfois en porte, huit comédiens et deux musiciens donnent vie à une indémodable histoire d’amour et de mensonge. Plus encore que d’avarice, c’est d’argent qu’il est question. Appât du gain et soif de profit, voilà ce que la pièce pointe parmi les obsessions de notre époque.

À vrai dire, Harpagon est victime de son avarice. Sa convoitise est immodérée, maladive, compulsive dirait un psy. L’homme fait le malheur des siens. Contrarie les amours de Valère, Élise, Cléante et Mariane. Pousse Frosine, La Flèche et Maître Jacques à l’intrigue et à la vengeance. L’argent n’achète pas tout et croire le contraire peut finir par nous isoler cruellement. Le plus malheureux, au bout du compte, c’est sûrement Harpagon.

Dans le rôle-titre, Luc Guérin est très convaincant. Le dos voûté, clignant des yeux, arborant un sourire niais mais lumineux, il exprime la fragilité du personnage bien plus que sa dimension tyrannique. Tous les comédiens s’en sortent assez bien, mais c’est sans contredit Marc Beaupré, particulièrement leste, et Frédéric Blanchette, truculent dans ses trois personnages, qui nous offrent les meilleurs moments.