Jeannot Painchaud : Folle jeunesse
Scène

Jeannot Painchaud : Folle jeunesse

Jeannot Painchaud détourne le Cirque Éloize de la théâtralité de ces dernières années pour jumeler cirque et danses urbaines dans iD. Jean-Philippe Goncalves et Alex McMahon signent la trame sonore de ce spectacle qui marque l’ouverture du premier festival Montréal Complètement Cirque.

Si l’image du Cirque Éloize est associée depuis 2002 au nom de Daniele Finzi Pasca, dont la Trilogie du ciel a marié avec génie les arts circassiens et le théâtre, il y a eu, aux tout débuts, ce spectacle qui a donné son nom à la compagnie, puis Excentricus et Cirque OrchestraJeannot Painchaud innovait en intégrant un orchestre symphonique à sa création. C’était en 2001. Comédien, jongleur, acrobate, champion de bicyclette artistique et aussi l’un des trois fondateurs d’Éloize, il avait quitté la scène trois ans plus tôt pour veiller au développement de la jeune structure. À la fois directeur artistique et directeur de création, il a recoiffé la casquette de metteur en scène pour donner vie à iD, septième création originale de la compagnie.

"J’ai ressenti le besoin de revenir travailler sur les planches avec des artistes, de me remettre en danger, de retourner là d’où je viens", explique-t-il depuis ses bureaux de la Gare Dalhousie qui abrita l’École nationale de cirque avant de devenir le repaire de la troupe et qui accueillera L’Impro Cirque au programme du Festival. "Avec 20 ans d’expérience, je connais bien les codes de représentation du cirque, mais j’ai eu à relever le défi gigantesque du rapport intime avec les artistes, poursuit-il. Il faut créer un lien de confiance avec des gens qui ne demandent qu’à briller et faire une place à chacun tout en respectant une direction pour le spectacle. Il faut aussi faire en sorte qu’ils aient envie d’aimer ce spectacle, de se l’approprier pour le faire évoluer et le porter pendant des mois, voire des années. L’autre défi a été de bâtir la dramaturgie parce que mon métier initial n’est pas la mise en scène."

Sans raconter une histoire, iD présente une enfilade de scènes de la vie quotidienne observables dans la rue: des mouvements de foule, des rencontres qui provoquent aussi bien des confrontations que la création de liens amicaux ou amoureux. Les seuls textes que l’on peut entendre sont les paroles de chansons parfois portées par des pointures comme Betty Bonifassi, Ariane Moffatt, Jorane ou le rappeur Boogat. On revient donc ici aux origines du cirque avec une création qui, sans être dépourvue de tendresse et de poésie, met l’accent sur l’énergie et la virtuosité.

La mise en scène de l’exploit n’est-elle pas un écueil que le cirque contemporain cherche pourtant à éviter? "Pour moi, c’est un plaisir plus qu’un danger, répond Painchaud. La compagnie a 18 ans et ça me rappelle la naïveté et la fraîcheur de nos débuts. Sans vouloir retourner en arrière, j’avais envie de me frotter à cette espèce d’énergie rebelle avec les jeunes d’aujourd’hui et de faire un spectacle agréable et énergique sans me questionner trop profondément."

Jeunesse et culture urbaine

La nouveauté dans cette création, c’est la place donnée à la fougue et à l’esthétique du hip-hop. Sur seize artistes en scène, cinq sont des danseurs. L’idée a émergé en réponse à la commande d’un promoteur coréen pour un spectacle rapide et dynamique. "J’ai constaté, à l’occasion de voyages en Corée, que la jeune génération manifestait un désir, presque une rage, de s’exprimer pour s’affirmer et ne pas reproduire le modèle des parents, commente le metteur en scène. Cela m’a inspiré, et en cherchant ce qui caractérisait l’énergie de la jeunesse aujourd’hui pour faire un spectacle qui pourrait tourner partout dans le monde, j’ai pensé au hip-hop."

Son choix s’arrête sur le Français Mourad Merzouki, fondateur de la compagnie Käfig et chorégraphe réputé pour sa capacité à renouveler le langage hip-hop en croisant son esprit et son geste avec d’autres styles. Qu’il ait été formé aux arts du cirque dans son enfance et qu’il ait récemment créé pour des compagnies chinoises et taïwanaises a sans doute influencé le choix de Painchaud qui a auditionné seul la plupart des danseurs. Pris par ses nouvelles fonctions de directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, Merzouki n’a pas participé à la deuxième phase de création qui intègre six artistes de plus et agrémente le spectacle de trois nouveaux numéros. Cela ne perturbe pas le metteur en scène car, selon la pratique au Cirque Éloize, les danseurs ont été invités à déployer leur potentiel, à exprimer leur personnalité, et ils sont à l’origine de bon nombre des séquences chorégraphiques.

"J’avais la volonté de faire des choses différentes, d’explorer d’autres univers, et j’ai été frappé par les points communs entre le cirque et le hip-hop, note-t-il. Ce sont des formes d’art qui n’ont pas été reconnues tout de suite. Beaucoup d’artistes ont commencé dans la rue avant de présenter leur travail sur les scènes du monde." Très présente dans l’air du temps, l’esthétique urbaine se retrouve dans l’habillage scénographique et visuel conçu par Robert Massicotte et Alexis Laurence. À chaque tableau, la ville se redessine sous leurs crayons de graffiteurs grâce à la magie de la technologie multimédia, créant un univers à mi-chemin entre la bande dessinée et le cinéma de science-fiction.

Plein la vue

Évidemment, les numéros sont adaptés à la thématique du spectacle. Le trampomur consacre le métissage du trampoline et de la pratique éminemment urbaine du parkour, un pas de deux romantique se joue entre un patineur sur patins à roues alignées et une adolescente suspendue dans les airs, un VTT trial gravit des escaliers et s’élance dans les airs, allant jusqu’à sauter par-dessus des spectateurs. Dans une tension permanente entre le désir d’élévation et la nécessaire négociation avec la gravité, échassiers, jongleurs et équilibristes s’en donnent à coeur joie, en alternance avec des numéros de contorsion, mât chinois, main à main, hamac volant, tumbling, roue Cyr et sangles aériennes. Si certaines routines d’acrobatie étaient déjà établies, un important travail d’improvisation à partir d’émotions a ouvert des pistes pour introduire des numéros ou en créer entièrement.

"Il y a une scène entre la contorsionniste et un b-boy qui atteint un niveau de tendresse et de poésie inouï, affirme Painchaud. La façon dont il l’enlace, dont elle s’enroule autour de lui… On entre vraiment dans quelque chose de différent, de poétique qui me plaît beaucoup. C’est un exemple parmi d’autres des rencontres que j’ai cherché à créer entre les deux univers."

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Électro, rap et romantisme

Jeannot Painchaud avait rêvé des deux cerveaux de Beast pour faire vibrer le coeur de sa ville imaginaire. Mais si la voix chaude de Bonifassi résonne çà et là dans iD, pour des raisons logistiques, le compositeur et batteur Jean-Phi Goncalves a dû aller chercher un autre vieux complice pour sa première création de musique de scène. C’est donc avec Alex McMahon, avec lequel il forme le groupe The Golden, qu’il a conçu une trame sonore faite de musique électronique, de rock, de rap, de mélodies plus organiques et de divers sons d’ambiance.

"La musique est un peu le narrateur du spectacle, commente Goncalves. En gros, elle vient représenter la ville et soutenir l’univers et l’action des artistes. Par exemple, il y a des thèmes musicaux associés à chacune des gangs qui s’affrontent. Ou encore, je fais un rap où Ariane vient me répondre comme dans un battle de hip-hop. C’est vraiment la culture urbaine." "Ça fait aussi penser à Broadway par moments parce qu’il y a beaucoup de chorégraphies de groupes, un peu comme dans West Side Story, ajoute McMahon. Ça se ressent dans la musique qui est assez électro, mais avec beaucoup de cordes, beaucoup de touches de sensibilité, de romantisme et d’onirisme. Jeannot voulait qu’on sente à la fois le côté plus brut de la ville et la sensibilité de l’humain."