Stéphane Bélanger : Passage obligé
Scène

Stéphane Bélanger : Passage obligé

Plus que jamais, le comédien Stéphane Bélanger ressent le besoin de dire tout haut certaines choses. Il délaisse donc le théâtre pour embrasser la sincérité du conte, d’où son spectacle Un monde merveilleux.

Il ne suffit que de quelques mots pour comprendre que Stéphane Bélanger, comédien d’expérience et fondateur du Studio Théâtre à Trois-Rivières, n’envisage nullement l’univers dans lequel il vit comme un film de Disney. Lorsqu’il en parle, il souligne surtout ses travers, ses imperfections. On comprend donc qu’il y a beaucoup d’ironie autour du titre de son nouveau spectacle de contes, Un monde merveilleux.

"Je parle beaucoup aux gens avant d’écrire une histoire", explique-t-il, devant une cannette de boisson gazeuse. "Et il y avait une dame qui me racontait: "On n’a pas à se plaindre, on vit tellement dans un monde merveilleux. Moi, j’ai mes plates-bandes, mon jardin, et j’ai fait refaire mon deck de piscine." En l’écoutant, je me disais: "C’est ça, son monde merveilleux?" Je ne dénigre pas ça. J’ai essayé d’en faire partie, mais ce n’est pas moi. Et je pense que beaucoup de gens ne sont pas bien là-dedans: je suis environnementaliste, mais j’ai deux autos; je n’arrive pas, mais je me prends une autre hypothèque; je n’arrive pas, mais je m’achète une nouvelle piscine. On court toujours."

LES YEUX DU FUTUR

Dans Un monde merveilleux, le Trifluvien fait avancer le temps. Il se glisse dans la peau d’un homme vivant dans une ère lointaine et met en lumière certaines histoires et situations qui se passaient en 2010. "Ça va être un spectacle assez lourd et négatif", affirme-t-il en éclatant de rire. "Au théâtre, depuis bientôt 20 ans, quand j’écrivais, j’essayais de dire des choses. Mais le théâtre arrive toujours à se cacher derrière la performance. Par exemple, quand les gens sortent d’un spectacle, ils te disent: "Bon casting, belle mise en scène, bons décors, belles performances d’acteurs…" Mais le propos, ils passent souvent à côté. Le conte me permet de dire des choses aux gens: "Moi, Stéphane Bélanger, je pense que…" Puis, là, je cherchais un moyen de faire une critique du monde d’aujourd’hui." Une critique souvent sévère. "Les gens qui s’attendent à voir un conteur sympathique avec le sourire comme Fred Pellerin vont être déçus. Mais s’ils veulent être provoqués, dérangés, se promener dans bien des questionnements, ils vont passer un bon moment."

Parmi les sujets que Bélanger devrait aborder – au moment de l’entrevue, il hésitait encore entre certaines histoires -, il y a l’amour, le sentiment patriotique, la bureaucratie, la liberté. "Et j’ai mon conte raisonnable! C’est un conte qui n’aboutit pas parce qu’à tout moment, je reçois un téléphone de quelqu’un qui se plaint d’une phrase qui a été dite et qui lui crée un préjudice. Donc je change le contenu au fur et à mesure. Finalement, le conte tombe de lui-même; je veux tellement faire plaisir à tout le monde que je ne sais plus ce que je veux dire. Je fais un parallèle avec la société; on veut tellement plaire qu’on s’oublie."

En explorant une nouvelle forme d’expression, c’est justement le piège que Stéphane Bélanger a voulu éviter: s’oublier. "C’est venu un peu avec la quarantaine. J’ai besoin de pertinence dans ce que je fais. J’ai besoin de ne pas être juste un produit de loisir qu’on achète. Je trouve qu’à Trois-Rivières, dans ce qu’il se fait, c’est beaucoup des petits clins d’oeil au public. Les idées ne sont pas à l’avant-plan; il faut que ça pogne. Mais en même temps, on le fait pour quoi?" Puis, après quelques digressions, il ajoute : "J’ai commencé le conte pour prendre mes distances d’avec le théâtre. Là, j’étais rendu à mon troisième one man show de suite. Je ressentais un peu de fatigue: 50 pages de texte à apprendre chaque fois… Ouf!"

UNE PASSION RETROUVEE

Mais de porter sur ses épaules ses propres textes ne l’intimide pas? "Oui, cent fois plus. Si les gens ne sont pas d’accord en commençant, tu pars avec une prise. Mais des fois, j’ai de belles surprises", répond-il en mentionnant cette fois où une fillette lui a partagé sa conception de l’amour, ou quand des spectateurs ont essuyé des larmes en entendant son conte sur les handicapés. "Le contact est plus direct qu’au théâtre. Dans les commentaires que j’ai à la fin, personne ne me parle de la diction, du casting, de l’éclairage. On me dit: "Ça, c’est vrai en maudit!" Je te dirais que je fais peut-être ça pour retrouver ça dans le théâtre, pour réussir à faire une pièce qui aurait cette force-là."

Car Stéphane Bélanger s’amuse comme un petit fou dans les contrées mille fois explorées par Fred Pellerin. "J’ai retrouvé ma passion. Parce que je l’avais perdue. Il faut être patient, ne pas avoir de grandes ambitions et il faut aimer ça", dit-il en parlant de la tradition orale. "Et j’adore ça présentement. Je n’ai jamais autant aimé être sur scène que maintenant. Je n’ai jamais aimé autant le contact avec le public qu’avec le conte. Je retrouve le trip de mes 25 ans, de mes premières pièces de théâtre!"

C’est d’ailleurs avec cette effervescence un peu brouillonne qu’il a conçu Un monde merveilleux. "Je ne demande plus rien à personne. Je ne suis plus membre de la Corpo ni du Conseil de la culture, parce que c’était pour moi de l’énergie négative. Ça fait que j’autofinance tous mes trucs. J’ai 500 $ à mettre là-dessus. Ben, ça va être un show de 500 $, point final. Et si ça a à vivre, ça va vivre et bien, sans comptes à rendre à personne. Je trouve ça drôle de te parler de même. C’est peut-être un tournant, un changement de vie", estime celui qui souhaiterait tenir l’affiche avec son spectacle de contes pendant au moins un an.

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