Enrica Boucher : Vaines promesses
Scène

Enrica Boucher : Vaines promesses

On discute désillusions amoureuses avec la comédienne Enrica Boucher, qui retrouve ces jours-ci son rôle dans un solo intitulé Emma.

Quand Enrica Boucher pose le pied sur une scène, ce n’est jamais banal. Au cours des sept dernières années, que ce soit sous la direction de Dave St-Pierre, Brigitte Poupart, Alice Ronfard ou Marie-Ève Gagnon, la comédienne a offert des interprétations précises et singulières, défendu des personnages délicieusement névrosés. En janvier dernier, dans la salle intime du Prospero, sous la houlette d’André-Marie Coudou, metteur en scène attitré du Théâtre L’Instant, la comédienne défendait son premier solo, Emma, un texte du Belge Dominique Bréda dont les références concrètes ont été transposées au Québec. La rumeur, fort positive, a entraîné une reprise.

La pièce met en scène le personnage d’Emma à différents âges de sa vie: bébé, ado rebelle et vieille dame, mais surtout femme de 45 ans "à la recherche du bonheur, secouée par le désir, la difficulté d’aimer et l’insatisfaction permanente". "C’est sa détresse qui m’a tout de suite interpellée, avoue la comédienne. Son anxiété. Ses désillusions. Emma est une femme idéaliste. Les choses ne se sont pas produites comme elle l’imaginait. Vous savez cette idée selon laquelle nos vies doivent fonctionner suivant des étapes préétablies? Étudier, faire un métier, rencontrer quelqu’un, s’installer ensemble, se marier… La voie tracée, quoi."

Un homme qui quitte sa conjointe pour une femme plus jeune – ce qui arrive à Emma -, c’est un phénomène semble-t-il de plus en plus courant. "C’est un rejet douloureux, estime Boucher, un sort malheureusement réservé à beaucoup de femmes de 40 ou 50 ans par les temps qui courent. En janvier, je voyais des spectatrices qui réagissaient fortement à ces passages-là. Elles étaient très émues ou alors elles riaient beaucoup. Parce qu’il faut dire qu’il y a beaucoup d’humour dans la pièce. Des passages assez croustillants."

Bovarysme

Avec Madame Bovary, l’héroïne de Flaubert, tragiquement déçue par l’amour, Emma partage plus qu’un prénom. Roman fétiche du père suicidé, lecture obligatoire au cégep, l’oeuvre ne cesse de réapparaître, de se rappeler à elle, de ponctuer les moments-clés de son existence. Jusqu’à la toute fin, elle la hantera. "Je me souviens de Flaubert. C’est peut-être un peu de sa faute si j’ai perdu quelques neurones dans cette histoire. Quand on lit des choses comme ça, on en paie le prix. On y trouve de la vérité, on y laisse du mensonge."

Ainsi, la pièce transpire le bovarysme, cet état que le Petit Robert décrit comme une "évasion dans l’imaginaire par insatisfaction". "C’est quelque chose comme un délire, affirme Boucher, une suite de fantasmes et de projections. Bovary est le fantôme d’Emma. Si elle la méprise à ce point, c’est parce qu’elle lui ressemble terriblement."

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De l’intime au social

Le monologue de Dominique Bréda s’apparente à une confession, un théâtre de l’intime. Pourtant, l’oeuvre est bien loin d’être dénuée de résonances sociales. Dans le dossier de presse, le metteur en scène explique: "Emma nous invite à réfléchir sur le mal-être contemporain, ce bovarysme, qui afflige la plupart d’entre nous à des degrés divers: amour de l’amour plus que réel désir d’aimer, insatisfaction perpétuelle, naufrage du couple et de la famille. Le texte nous parle aussi de la société de consommation qui tire profit de ces attentes irréalistes: publicité mensongère, profits des grosses firmes, quête insatiable de la beauté. Insatisfaction, désoeuvrement, désirs effrénés qui font tourner la machine à surconsommer. Et pourtant, le vide n’est jamais comblé. Nous avons besoin de rêver, de transcender le réel, mais le faisons-nous d’une manière qui puisse nous faire grandir, avancer?"

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À venir: Racine et Brecht

Enrica Boucher ne chôme pas cet automne. En plus de reprendre Emma dans la salle intime du Prospero, elle répète deux spectacles. Marc-André Bourgault a fait appel à elle pour sa relecture de Phèdre, un spectacle dont Dominique Leclerc – qui fait actuellement partie de la distribution de Nous sommes faits (comme des rats) – endossera le premier rôle quelque part en octobre. "La mise en scène est éclatée, révèle la comédienne, très contemporaine mais d’une façon à laquelle on ne s’attend pas. Je trippe beaucoup. C’est un jeune metteur en scène très prometteur." L’autre spectacle, c’est La noce, de Brecht, mis en scène par Gregory Hlady sous la bannière de La Veillée, au Prospero en février. Un spectacle qui s’annonce kafkaïen, dans le meilleur sens du terme, et qui mettra aussi en vedette Paul Ahmarani, Denis Gravereaux et Frédéric Lavallée. "J’ai hâte en maudit!" lance spontanément la comédienne.