Muriel de Zangroniz : Drôle d'animal
Scène

Muriel de Zangroniz : Drôle d’animal

Il y a déjà deux ans que les filles de Toxique Trottoir, figures incontournables du théâtre de rue à Montréal, proposent le Musée des vieux animaux québécois, une installation muséo-théâtrale ludique et politique sur l’identité québécoise. Et ce n’est pas fini.

C’est une sorte de chapiteau-théâtre, une manifestation de rue qui emprunte les codes de la visite muséale guidée pour plonger dans l’épineuse question de l’identité québécoise. En ces temps d’accommodements raisonnables et de mise à mal du "nous" collectif, la compagnie Toxique Trottoir a cherché à savoir "kossé ça, un Québécois?". Quand vous entrez dans le musée, vous découvrez des castors empaillés, des pièces d’artisanat en tricot, d’étranges invertébrés et d’autres déroutantes pièces de collection. Le Québécois prend ici les traits de l’Animal, souvent tout droit sorti du passé, pour mieux se redéfinir à la lumière du présent.

Est-ce une manière de dire qu’il est temps que la bête se renouvelle? "Pas nécessairement", dit Muriel de Zangroniz, l’une des trois têtes de la compagnie, avec ses comparses Marie-Hélène Côté et Dominique Marier. "On interroge les artefacts du passé et les objets du patrimoine collectif de manière ludique, mais surtout dans le but de détourner ces objets-là de leur fonction, de distorsionner le réel, de s’en moquer. C’est un spectacle avant tout humoristique, dans lequel on veut rire des Québécois et des immigrants, et trouver dans le rire un espace où vivre ensemble."

Normal que ces trois-là sachent rire de la délicate question de la cohabitation entre les ethnies. Muriel de Zangroniz est française, mais a de lointaines origines espagnoles, en plus d’avoir vécu longtemps au Maroc avant de débarquer au Québec il y a 17 ans. Ses deux collègues, québécoises pure laine, sont respectivement en couple avec un Suisse et un Cubain. Elles habitent fièrement le quartier Rosemont, où depuis quelques années elles constatent une forte immigration maghrébine. "Tout ça nous rend très sensibles à la montée d’islamophobie qu’on perçoit dans la société québécoise et partout dans le monde. Ce spectacle est pour nous une façon de réagir aux tensions qu’on voit s’installer. On ne peut pas dire que ces tensions-là concernent précisément Rosemont ou Montréal, mais à petite échelle la question du voile s’y pose très fortement."

Dans leur musée, la guide est donc une immigrante aux origines métissées, qui entrera graduellement en confrontation avec une "pitoune québécoise", ethnophobe sans trop le vouloir. C’est à prendre au second degré, bien sûr, et avec ironie, mais les trois filles ne cherchent pas non plus le politiquement correct. "Plusieurs personnes sortent en colère de notre spectacle, car la pièce laisse la possibilité au spectateur de prendre parti. Certains veulent défendre l’immigrante, d’autres s’identifient aux propos de la pitoune. Je pense qu’il y a surtout là un formidable espace de discussion."

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Engagées pour le théâtre de rue

Au Québec, le théâtre de rue est encore une discipline marginale, qui n’a jamais obtenu la reconnaissance et les fonds publics nécessaires à son maintien et à son épanouissement. "Pourtant, souligne Muriel de Zangroniz, les arts de la rue vivent un incroyable renouveau depuis dix ans. C’est incroyable de voir autant de compagnies artistiques fonctionner comme des entreprises privées, sans soutien public, mais je ne vous dis pas les difficultés et le nombre d’heures de bénévolat que cela suppose." Voilà entre autres pourquoi les filles de Toxique Trottoir ont confondé l’an dernier le Regroupement des arts de rue du Québec, constitué aujourd’hui d’une cinquantaine de membres. Consolidation, partage, sensibilisation, participation à des formations et des groupes de discussion font partie des objectifs du Regroupement, qui est également parvenu à soutirer un entretien avec la ministre de la Culture cette année. Un dossier à suivre.