Nous sommes faits (comme des rats) : Faire la lumière
Scène

Nous sommes faits (comme des rats) : Faire la lumière

Avec Nous sommes faits (comme des rats), les Biches pensives donnent la parole à cinq antihéros qui ne manquent pas de verve.

Quand on demande à cinq jeunes auteurs d’écrire un monologue qui s’inspire d’un fait divers, tout est possible. Accorder une voix, une tribune à des individus qui n’ont pas eu la chance de donner leur version: le principe est intéressant, le déclencheur, original. Mais l’expérience nous a appris que le pire et le meilleur peuvent surgir de ce genre d’exercice.

Heureusement, la deuxième production des Biches pensives, Nous sommes faits (comme des rats), offre plus de raisons de se réjouir que de se désoler. Si certains textes manquent de densité, la plupart savent déclencher le rire et tenir en haleine. Mélange de drôlerie et de gravité, d’étrangeté et de rage, de mythologie urbaine et de critique sociale, le spectacle est tout désigné pour passer du théâtre estival à celui de l’automne.

Avec le 11-Septembre en toile de fond, Justin Laramée a su créer un personnage délicieusement étrange, une femme drôle et attachante, un peu fêlée, fascinée par les avions et qui a toujours rêvé de voler. Dominique Leclerc l’interprète avec conviction et juste ce qu’il faut de candeur. Sébastien René déploie plus d’énergie encore pour défendre son jeune chômeur venu quérir un emploi de lutin dans le labyrinthe des Galeries d’Anjou. Le texte de Gilles Poulin-Denis ne manque pas de punch, mais il abuse un peu de certains procédés, comme les références à la culture populaire. Jean-Philippe Lehoux a imaginé ce qui a bien pu inciter un homme à propulser sa camionnette dans les portes du Centre Bell. Quoique défendue avec fougue – le mot est faible – par Sébastien Leblanc, la mésaventure est plutôt banale.

Le meilleur moment de la soirée, et de loin, c’est Hubert Lemire qui nous l’offre. Il faut dire que le monologue de Catherine Dorion est particulièrement truculent. René a reçu un courriel de la part d’un employé de banque sud-africain. Une traite de 180 000 $ à partager. Ça vous dit quelque chose? Notre homme, particulièrement naïf, a mordu à l’hameçon. Plus triste encore, il est tombé amoureux de celui qui l’a mené en bateau, un certain Kounadia. Le personnage est si bien dessiné par l’auteur et l’interprète qu’on lui consacrerait tout un spectacle. La dernière pièce, le texte de Rébecca Déraspe interprété par Annie Darisse, trouve plus ou moins sa place dans le puzzle. Le portrait est sensible, mais le rythme et le registre vont à l’encontre du reste du programme.

Si le spectacle transcende la soirée de contes urbains, c’est beaucoup grâce à Alexia Bürger. Sa mise en scène relie ingénieusement les fragments de vie, garde les protagonistes vivants du début à la fin. Assis au premier rang, déplaçant entre chaque scène les cubes de bois qui composent le décor, ou un écran lumineux qui crée les plus beaux effets, les comédiens ne quittent jamais vraiment la scène. La lumière, les corps et leurs mouvements: tout cela est d’une grande simplicité, et pourtant d’une remarquable intelligence spatiale et plastique.