Sylvie Drapeau : Mère courage
Scène

Sylvie Drapeau : Mère courage

Non seulement Sylvie Drapeau retrouve-t-elle Alexandre Marine au Théâtre du Rideau Vert pour la troisième fois, mais elle a le bonheur de jouer Vassa, une pièce de Maxime Gorki que le metteur en scène russo-québécois connaît comme le fond de sa poche.

Montréal a adopté Alexandre Marine et lui ouvre maintenant toutes grandes les portes de ses institutions. Mais entre Moscou et le Québec, son coeur balance. S’il continue à travailler là-bas à l’occasion, c’est la première fois qu’un théâtre d’ici lui offre de monter un important texte du répertoire russe (une pratique qu’il a pourtant chérie lors des débuts de sa compagnie, le Théâtre Deuxième Réalité).

Entre les murs du Rideau Vert, il a plutôt fait résonner les paroles de Schiller (Marie Stuart, en 2007) et de Tennessee Williams (Un tramway nommé Désir, 2009), toujours en complicité avec celle qui est sur le point de devenir son actrice de prédilection, Sylvie Drapeau. Leur collaboration se transforme peu à peu en une très saine habitude artistique. Ils forment un duo traversé d’éclairs, d’intensité et de physicalité, dont le souci premier demeure de transmettre les grands textes avec limpidité et émotion, en tirant parfois le trait ou en usant de fortes symbolisations, laissant aussi toujours une petite place à la danse.

Même si Marine n’est pas du genre à tout prendre au pied de la lettre, la connaissance qu’il a de la dramaturgie de Maxime Gorki risque de donner une version scénique de Vassa qui soit très fidèle à l’esprit russe. Sylvie Drapeau se sent privilégiée de plonger dans cette oeuvre en compagnie de celui qu’elle dit "très habile à détecter le sous-texte". "Le vrai propos de cette pièce-là est toujours entre les lignes. Les personnages disent le contraire de ce qu’ils pensent."

Gorki, écrivain réaliste dont les pièces sont toujours ancrées dans le social (pensons aux Bas-fonds et aux Estivants), fut un proche de Lénine et de Staline et son oeuvre demeura toujours près des préoccupations du parti communiste. Mais cette dimension de l’oeuvre intéresse peu Marine et Drapeau, qui ont plutôt choisi de jouer la première version de Vassa, centrée sur la figure de la mère.

"La deuxième version, explique la comédienne, a été écrite pour faire plaisir à Staline. Tous les tiraillements humains y sont à saveur politique. On a préféré la première parce que les personnages y sont plus riches. Vassa, c’est une mère confrontée à l’éclatement de sa famille. Alors que son mari se meurt, son frère veut partir en gardant sa part de l’entreprise familiale. C’est une femme dure, parfois cruelle, mais cette sévérité, cette efficacité et cette intelligence sont au service du sauvetage de la famille. Elle a compris qu’elle doit prendre le contrôle pour que tout le monde demeure ensemble, car ce n’est qu’ensemble qu’ils peuvent survivre. Elle est de métal en surface, mais pleine de tendresse au fond d’elle-même."

Relations complexes, féroces, et regard affiné sur l’époque pré-révolutionnaire russe sont au menu de cette pièce qui emprunte aussi parfois des airs de comédie d’espionnage. "Ce qui est aussi intéressant, dit Drapeau, c’est que dans l’univers de Gorki, le monde appartient aux femmes. Les deux fils de Vassa sont des bons à rien, et la survie de la famille n’est pas de leur ressort."