Emma : Désillusions
Scène

Emma : Désillusions

Le Théâtre L’Instant reprend ces jours-ci Emma, un solo qui trace des parallèles peu convaincants entre Madame Bovary et les désillusions contemporaines.

Le réel peut-il être satisfaisant quand tout concourt à nous bercer d’illusions, à nous projeter dans d’improbables destins spectaculaires et bonheurs artificiels? Voilà, résumée un peu court et exprimée en termes bien contemporains, la question que posait déjà Flaubert quand il mit au monde Madame Bovary, femme rêveuse dont l’esprit fut à ce point contaminé par les histoires de princesses de son enfance qu’elle en vint à observer continuellement le monde réel avec des yeux tristes et souffrants. Noire déception que la sienne devant sa vie de provinciale sans envergure, son mariage raté et le manque de relief de son existence. Vous connaissez la suite.

On imagine aisément comment cette prémisse toute simple peut donner lieu à une réflexion très actuelle sur les artifices de notre société du paraître, où l’importance de l’image et la conviction que le bonheur s’achète au magasin à rayons peuvent détruire des vies à force de désillusions. C’est sur cette voie que s’est engagé l’auteur belge Dominique Bréda. Mais n’entre pas qui veut dans la filiation de Flaubert.

Emma n’est certes pas une adaptation de Madame Bovary, pas même une lointaine transposition du chef-d’oeuvre, mais la pièce cherche tout de même à en suivre les traces. On y observe la dégringolade d’une femme à différents moments de sa vie; déchéance qui s’accompagne de références ponctuelles à Madame Bovary, ce roman que la protagoniste apprend à aimer au fil du temps.

L’ennui, c’est que le parallèle que trace Bréda entre les destins d’Emma Bovary et de l’Emma contemporaine ne s’appuie que sur un fil ténu. Quand Emma recense les échecs de sa vie, elle cherche des coupables et les trouve en différents symboles de la société de consommation: Walmart et le père Noël au premier rang. Mais jamais cette pensée, d’ailleurs peu originale, n’est approfondie. Une sorte de corps étranger, plus artificiel et parasitaire que signifiant, qui n’aide en rien à concevoir la profondeur du désespoir du personnage, et que le metteur en scène André-Marie Coudou, hélas, beurre encore plus épais en ajoutant des références furtives (mais remarquées) aux politiques libérales et péquistes.

Reste une autre trame, plus riche mais se déployant de manière inégale, celle de l’inéluctable chemin vers la déchéance humaine, qui se justifie aisément sans recours à Flaubert. L’Emma bébé, dont le texte nous donne accès aux pensées intimes, et l’Emma vieillarde, plus sereine que jamais, donnent lieu à de jolis moments qui nous font un peu oublier les excès des passages adolescents et adultes.

La comédienne Enrica Boucher ne ménage aucun effort pour porter ce texte jusqu’à nous. Elle a ce cynisme et cette arrogance toute naturelle, de même qu’une facilité à changer d’aspect sans caricaturer outrancièrement. Mais par moments, elle en fait trop, et la mise en scène use discrètement et maladroitement des symboles de l’enfance et de la consommation: poupées de plastique, paniers d’emplettes et ainsi de suite.