Estelle Clareton : Perpétuelles migrations
Scène

Estelle Clareton : Perpétuelles migrations

La chorégraphe Estelle Clareton s’écarte un peu des sombres préoccupations de ses dernières créations pour mettre du soleil dans S’envoler. Une oeuvre ludique qui réunit une brochette de 12 interprètes de talent et qui s’inspire des comportements aviaires.

Pour Estelle Clareton, art et réalité sont intimement liés. La danse qui ne parle pas de la vie l’ennuie et c’est de ses préoccupations personnelles qu’elle s’inspire pour créer. En 2005, après avoir longtemps puisé aux sources de la tristesse, elle se branche sur la colère éveillée par la visite de camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. Elle amorce alors la série des Furies censée comprendre 24 oeuvres de formes et de longueurs différentes. Sous-titrée Epsilon 5/24, S’envoler est la cinquième. Mais voilà que la roue a tourné et que l’adoption d’un petit Haïtien a transformé les humeurs de la chorégraphe.

"Depuis qu’il est dans ma vie, c’est une joie retrouvée qui me redonne le goût d’aller vers l’humour et me donne des ailes, reconnaît la maman de 41 ans. Je ne sais pas où je vais me rendre avec les Furies. C’est vrai que je n’ai peut-être pas besoin d’en créer 24, mais je sens qu’il y a encore de la furie dans cette pièce: elle est moins radicale, mais elle navigue quand même entre l’humour et le drame."

Le drame, c’est celui de la difficulté à trouver sa place en ce monde et, pour cette Française d’origine, le tiraillement perpétuel entre l’appel de la terre natale et la reconnaissance des racines qui se sont développées en 24 ans de vie au Québec. D’où cet intérêt forcené pour les oiseaux migrateurs qui ont abondamment nourri la création. "Puis-je être vraiment libre si je n’ai pas de racines quelque part? s’interroge la chorégraphe. Au fur et à mesure que la pièce avance, je me rends compte qu’il n’y a pas vraiment d’autre solution que d’accepter d’être dans le mouvement entre deux endroits. Et la danse, précisément, est le lieu du mouvement."

Aux dires de celle qui dirige Création Caféine, l’humour surgit des 12 danseurs placés, à l’image d’une volée, en formation collée-serrée. "Ça crée beaucoup d’hésitations, de tentatives ratées, de surprises… Il y a comme une gaucherie, une maladresse qui me fait beaucoup rire." Inspirée de toutes sortes de rituels aviaires, la pièce porte aussi une métaphore du passage à l’âge adulte et du processus d’individuation. Ainsi, le groupe éclate parfois pour occuper tout l’espace et chacun y va de son vol en solo.

Âgés de 23 à 47 ans, les interprètes offrent une large palette de qualités humaines et chorégraphiques. Tous sont des coups de coeur que la chorégraphe a eus au fil des ans. Et si la présence de la comédienne Noémie Godin-Vigneau et de l’acrobate Raphael Cruz témoigne de l’attachement de Clareton aux disciplines du théâtre et du cirque où elle est également active, la brochette de danseurs avec qui ils partagent la scène est si belle qu’elle vaut à elle seule le détour. Parmi ceux-ci, Sylvain Lafortune, Frédéric Marier, Mathilde Monnard ou Jamie Wright ont déjà très largement fait leurs preuves.

Quant à la bande sonore et aux éclairages, ils sont respectivement assurés par Éric Forget et Martin Labrecque, deux vieux complices qui contribuent à créer une ambiance qui se fait à la fois environnement et écho des messages des corps.