Lorraine Côté : Scènes de famille
Avec Bonjour, là, bonjour, Lorraine Côté signe sa 20e mise en scène. Après Goldoni, Ibsen, Beckett, Michel Marc Bouchard, notamment, elle dirige son premier Tremblay. Un plaisir? "Un honneur!" s’exclame-t-elle.
Écrite en 1974, Bonjour, là, bonjour, à la différence de la plupart des pièces de Tremblay, présente des personnages peu connus de l’univers de l’auteur. Serge, après quelques mois passés en Europe, revient au bercail et retrouve sa famille inchangée: son père sourd, ses soeurs et ses tantes, avec leurs névroses et leur présence envahissante. Et sa soeur Nicole, avec qui il vit un amour interdit.
Si les personnages diffèrent, l’auteur plonge ici dans un de ses thèmes de prédilection: la famille. Tremblay y scrute les relations étouffantes, le besoin de s’affranchir, l’amour incestueux. La pièce se concentre, aussi, sur la relation père-fils. "Pour Tremblay, je pense que ce qui était important dans cette pièce-là, explique Lorraine Côté, c’était que le jeune homme soit capable de dire à son père qu’il l’aime, à une époque où personne ne parlait de ces choses-là. Les scènes père-fils sont très belles, d’ailleurs: ce sont les scènes les plus tendres de la pièce. Les deux hommes se parlent vraiment."
Pour la metteure en scène, qui s’intéresse vivement à la tragédie grecque qu’elle enseigne depuis plus de 10 ans au CADQ, ce texte, comme les autres pièces de Tremblay, atteint la grandeur tragique. "On est dans un univers de personnages plus grands que nature et, dès que la pièce commence, dans une situation au bord de l’éclatement. Ça va péter, on le sait, on le sent. On rit, parce qu’avec Tremblay, c’est sûr, on rigole. Il nous séduit comme il faut et après ça, il nous arrache le coeur. C’est toujours la même chose; et on aime ça."
"Les situations ne sont pas réalistes: les temps, les lieux se télescopent. Et ça rejoint un peu les grands personnages mythologiques: Serge revient, un peu comme Ulysse qui revient après 10 ans et qui constate que les choses ont changé et, en même temps, n’ont pas changé, malheureusement." Pour la mise en scène, Lorraine Côté s’inspire donc des mythes, optant pour un jeu et une esthétique plus symboliques que réalistes.
Sur l’ensemble semble peser la fatalité, elle aussi marque du tragique. "Les personnages de Tremblay ont la même largeur que ceux de la tragédie. Ils auraient juste à ouvrir la porte de leur appartement du Plateau Mont-Royal et à s’en aller dans un autre quartier. Mais ils sont incapables de faire ça: c’est comme si les dieux les plaquaient au sol. Les préjugés, les liens familiaux, la religion, comme une fatalité, créent un état d’immobilité, d’inertie. C’est comme s’ils avaient une laisse: ils vont au bout de la corde, mais sont toujours obligés de revenir. Dans cette pièce, c’est sûr qu’il y a une évolution: Serge agit. Il parvient à assumer son amour pour sa soeur, mais il ne sort pas de la famille. Il s’affirme, mais ne se libère pas vraiment."
"Un texte de Tremblay, c’est immense. En plus, c’est notre culture: ça a des résonances tellement profondes pour nous, c’est unique. Et quand je lis Tremblay, je vois une réelle parenté avec la tragédie grecque. C’est la même dimension: à travers le particulier, ça rejoint l’universel."