François Girard : L'expérience des extrêmes
Scène

François Girard : L’expérience des extrêmes

François Girard renoue avec l’essence de son métier en adaptant Le Fusil de chasse de Yasushi Inoué.

Depuis un quart de siècle, François Girard voyage avec aisance et réussite entre le cinéma, l’opéra et le théâtre. Ces jours-ci, entre deux réunions de production au Cirque du Soleil, où il prépare le prochain spectacle de la troupe, celui qui sera présenté au Radio City Music Hall de New York à compter de juin prochain, le metteur en scène travaille sur une petite forme, une transposition théâtrale du Fusil de chasse, un roman du Japonais Yasushi Inoué traduit dans le monde entier depuis sa parution en 1949.

Adaptée par l’écrivain québécois Serge Lamothe, éternel complice de Girard, l’oeuvre réunit trois lettres adressées au même homme, Josuke. La première vient de Shoko, la fille de sa maîtresse, désillusionnée. La seconde fut écrite par Midori, sa femme, trompée. La troisième, signée de la main de Saïko, son amante, est funeste. "C’est Wajdi Mouawad qui m’a fait découvrir ce petit bijou de texte, explique Girard. C’est un morceau de beauté que j’ai tout de suite eu envie de partager. D’abord parce que c’est une matière toute désignée pour le théâtre: les trois lettres sont ni plus ni moins trois monologues. Mais aussi parce que c’est une histoire universelle tout en étant éminemment japonaise, une histoire impossible à transposer au Québec ou ailleurs, mais à laquelle on peut tout à fait communier. On est dans la retenue, les émotions cachées, l’honneur, la fierté et le suicide. C’est une histoire d’amour impossible, tragique, le déboulonnage d’un homme en trois étapes."

Retour aux sources

Il s’agit donc essentiellement de faire entendre une partition unique, de se mettre au service de l’oeuvre. Un peu comme c’était le cas avec Novecento, la plaquette de l’Italien Alessandro Baricco que Girard portait à la scène en 2001 avec Pierre Lebeau, ce nouveau spectacle mettant en vedette Rodrigue Proteau et Marie Brassard ramène le metteur en scène aux fondements de son art.

"À vrai dire, ce qu’il faut, c’est un grand acteur qui dit un grand texte devant un public qui est prêt à l’écouter. Cette fois, comme dans Novecento, nous avons décidé de ne convier sur scène que ce qui manquait, ni plus ni moins que ce qui était absolument nécessaire. Je sais bien que mon travail au Cirque du Soleil, c’est exactement la démarche inverse, une accumulation. Mais il y a un moment où il faut remettre les pendules à l’heure, revenir à l’essentiel, à quelque chose de nu, dépouillé de tout artifice. Se faire passeur. L’objet théâtral sur lequel on travaille est donc minimal, très épuré, japonais non seulement dans le texte et dans l’esprit, mais aussi dans l’esthétique."

Soleil levant

Le spectacle, coproduit par l’Usine C (Montréal), le Théâtre français du CNA (Ottawa) et le Parco Theater (Tokyo), aura vraisemblablement une mouture anglophone, avec la même distribution, et une mouture japonaise qui mettra en vedette Miki Nakatani, la comédienne qui jouait Madame Blanche dans le film Soie. Girard avoue que sa fascination pour le pays du Soleil levant est intarissable. "L’identité japonaise, c’est quelque chose de très difficilement pénétrable. C’est une culture repliée sur elle-même, qui s’est construite sur une île, dans un isolement complet. Aujourd’hui, le Japon est ouvert aux bateaux et aux touristes, mais, fondamentalement, il ne s’est jamais vraiment ouvert. J’y ai passé beaucoup de temps, j’ai travaillé avec des Japonais, et, encore aujourd’hui, nulle part ailleurs je ne me sens plus étranger."

Dans les mois à venir, outre le spectacle du Cirque du Soleil, François Girard s’attaquera au Parsifal de Wagner. Rien de moins. "Je me rends compte que ce qui m’intéresse, ce que j’aime, c’est faire l’expérience des extrêmes. Quand je travaille au cirque ou à l’opéra et que j’ai le sentiment que le monstre est en délire, qu’il va me dévorer, je pense à des projets comme Le Fusil de chasse et ça agit comme un antidote. C’est un endroit dans ma tête où je vais me réfugier pour retrouver l’équilibre."