Moni Grégo : Énergie solaire
Venue de France pour continuer à travailler sur une mise en scène de L’Étranger dont l’aventure a débuté au Centre Pompidou de Paris en janvier dernier, Moni Grégo propose une adaptation solaire et sensuelle du roman d’Albert Camus.
Il est plutôt rare qu’un théâtre d’ici offre en ses murs du temps de création à un artiste étranger. Les budgets sont trop minces, la demande locale est trop forte et les subventions ne le permettent pas. C’est pourtant ce qu’a décidé de faire le Théâtre Denise-Pelletier en accueillant pour quelques semaines la Compagnie théâtrale de la mer dans la salle Fred-Barry. La metteure en scène Moni Grégo et le comédien Pierre-Jean Peters (qui a longtemps vécu au Québec) en sont enchantés. Disons toutefois que les fonds ayant permis l’aventure viennent en grande partie de la France, précisément du ministère de la Culture et de la région Languedoc-Roussillon. Toujours la même histoire.
Moni Grégo n’est pas spécifiquement camusienne. Elle dit mieux connaître Beckett et Duras, et a aussi beaucoup travaillé Koltès. En tant qu’auteure dramatique, elle s’intéresse plutôt aux grands mythes. Dans L’Étranger, elle trouve d’ailleurs des relents de tragédie shakespearienne. "Je trouve qu’il y a du Hamlet et du Dom Juan dans Meursault, quand il refuse complètement l’image de Dieu qu’on lui propose, quand il oppose un véritable refus. Certes, il est souvent dans une sorte de futilité, de relâchement, se laissant aller au gré des événements, mais d’autres fois il est vraiment dans une révolte. On oublie souvent la complexité du personnage. Il est totalement lucide devant le mensonge de la société, alors qu’on lui reproche plus de n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère que d’avoir tué un homme. Il voit toutes les illusions des autres et les refuse."
Mais plus que tout, Grégo s’intéresse à la sensualité de Meursault. C’est une posture étonnante, sachant que l’accent est toujours davantage mis sur son indifférence, sa résignation, sa dérangeante neutralité. "Toutes les adaptations que j’ai vues de L’Étranger étaient très noires, très sombres, avec des personnages en costumes années 30, cheveux plaqués, très sérieux, alors que ce qui me touche, moi, dans L’Étranger, c’est la sensualité, le soleil, la vieille tradition du tragique méditerranéen, le côté voyou des banlieues d’Alger. Même si c’est un petit employé de bureau, Meursault a ce côté voyou, cet amour de manger du poisson au bord de la mer, et l’amour des filles." Grégo, qui a vécu plusieurs années en Algérie et en Tunisie, parle ici en connaissance de cause.
Puisque cette production est aussi née d’un désir de célébrer le 50e anniversaire de la disparition de Camus, le Théâtre Denise-Pelletier organise une série de conférences sur l’homme, sa vie, son oeuvre et son "legs à la jeunesse". Des universitaires québécois, français et américains discuteront des différents aspects de l’oeuvre colossale de Camus, comme le feront en table ronde des metteurs en scène et comédiens en ayant récemment proposé différentes interprétations théâtrales (notamment le metteur en scène Marc Beaupré et la comédienne Ansie St-Martin). Ça promet d’être passionnant.