Claude Poissant / Larry Tremblay : Abîme sans fond
Claude Poissant, metteur en scène d’Abraham Lincoln va au théâtre, nous parle de cette pièce de Larry Tremblay que sa compagnie reprend deux ans après sa création. Métathéâtre.
Cette saison, le Théâtre PÀP présente deux pièces de Larry Tremblay, Abraham Lincoln va au théâtre et une nouvelle version de The Dragonfly of Chicoutimi. Claude Poissant, codirecteur artistique de la compagnie, explique ainsi son intérêt pour le dramaturge: "On est attiré par un univers secret, un peu complexe, étrange. En même temps, tout nous semble possible, accessible. Il construit ces mondes en spirale et on a le goût de suivre ce tourbillon. Mais on ne touche jamais le fond. C’est merveilleux parce qu’il nous laisse toujours dans la force du doute comme moteur de vie."
Dans Abraham Lincoln va au théâtre, un metteur en scène engage deux acteurs qu’il déguise en Laurel et Hardy pour rejouer l’assassinat du président américain par le comédien John Wilkes Booth. "En parallèle, Larry réussit à nous raconter le monde du théâtre. À quoi ça sert, comment un personnage s’imprime en nous, combien on a besoin de la fiction pour appartenir au réel, poursuit-il. En plus, il relate 145 ans d’histoire de l’Amérique avec beaucoup d’humour. Il saute par-dessus bien des étapes, mais il parvient à rendre le sentiment des choses."
Plus précisément, il observe: "On a d’abord un metteur en scène un peu chiant et visionnaire ainsi que deux acteurs amis, mais avec des conflits terribles, l’un étant plus fragile, féminin et dépressif, l’autre, orgueilleux, un peu colérique et individualiste. Donc, les trois personnages de départ ont des tempéraments très différents. Ensuite, on les inscrit dans trois autres, et dans trois autres, et dans trois autres… Cette démultiplication amène un ton humoristique parce que les drames qu’ils vivent s’élargissent dans chaque mise en abyme. Alors ça devient de plus en plus cocasse, absurde, délirant."
Pour jouer ces personnages qui jouent des personnages qui jouent des personnages, il a demandé aux comédiens d’établir les conventions clairement dès le départ, puis de demeurer à l’écoute du texte. "Il faut que la parole de Larry soit portée et non cachée par eux." Sinon, il a cherché à s’en tenir à l’essentiel. "Cette descente aux enfers ou cette montée au ciel est tellement étourdissante! Mais sa complexité peut devenir un joyeux manège. Pour cela, il faut aller dans la simplicité, le dépouillement."
Il s’est donc adonné à un minutieux travail d’épuration, au terme duquel il a réalisé qu’"un rideau, quatre chaises et une machine à café", conjugués aux éclairages "légèrement burlesques" de Martin Labrecque, suffisaient pour raconter cette histoire. Ce qui ne l’a pas empêché d’essayer de nouvelles avenues lors des répétitions. Pour ultimement en revenir à la formule initiale, quoique enrichie de "deux années de vécu". "Personne ne nous dit que c’est compliqué, constate-t-il au final. Les gens trouvent plutôt que c’est un barouettage qui fait du bien."