Marc-André Bourgault : Liaisons dangereuses
Scène

Marc-André Bourgault : Liaisons dangereuses

Jouer Phèdre dans un sous-sol avec pour tout décor une chaise et des draps, voici le défi que se sont lancé les Défricheurs. Entretien avec l’un des piliers du projet, Marc-André Bourgault.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces temps-ci, Marc-André Bourgault en a plein son assiette: non content d’y jouer le personnage d’Hippolyte, il met en scène et produit Phèdre, de Racine. S’il n’hésite pas à porter toutes ces casquettes, c’est que sa passion pour la tragédie ne s’est jamais démentie. "Lorsque j’étais à l’école de théâtre, j’étais saisi par la grandeur des émotions. Aujourd’hui, ce qui me touche particulièrement, c’est l’humanité des personnages. Ils sont enfermés dans des règles imposées et ils se débattent. Leurs passions les détruisent, car ils ne peuvent pas y céder, mais ils sont pourtant incapables d’établir leurs propres règles."

Reconnue comme la plus grande tragédie de Racine en raison de sa construction, de la profondeur des personnages et de la richesse des vers, Phèdre n’en est pas moins, de l’avis de Bourgault, extrêmement accessible. "Peu importe que l’on comprenne ou non les références à la mythologie, les enjeux sont très clairs et parlants; de plus, nous avons réalisé un travail approfondi de mise en bouche pour que les comédiens s’approprient parfaitement les alexandrins."

Rappelons l’intrigue de cette pièce créée en 1677 et que Bourgault qualifie d’"essentielle": Phèdre est amoureuse de son beau-fils, Hippolyte. À l’annonce de la mort de son mari, Thésée, elle ose avouer ses sentiments à Hippolyte, qui, lui, est amoureux de l’inaccessible Aricie. Lorsqu’on découvre que Thésée est vivant, Phèdre est terrifiée: que se passera-t-il s’il apprend la vérité? La solution sort de la bouche de sa fidèle nourrice, OEnone: accuser Hippolyte. La stratégie fonctionne et Thésée, furieux, bannit son fils. Peu après, OEnone se suicide, Hippolyte meurt, et Phèdre confesse son crime avant de s’empoisonner. "Je ne déresponsabilise pas les personnages, explique le metteur en scène. Ils commettent tous des actes condamnables et choquants, mais je veux montrer aussi bien leur laideur que leur beauté, et mettre en lumière les fondements de leurs comportements, les mécanismes qui les font se battre avec eux-mêmes et entre eux."

Ce que souhaite Bourgault, c’est que les spectateurs se reconnaissent dans les émotions de ces personnages déchirés. "Je fais du théâtre pour réfléchir, me situer, apprendre, grandir. Et c’est ce que j’espère pour les autres", déclare-t-il. Pour faciliter l’identification, il a choisi d’habiller les protagonistes de manière contemporaine et de les faire évoluer dans une scénographie extrêmement dépouillée. On est loin ici de la Grèce antique.

"Ce qui m’intéresse, c’est l’acteur. J’aime mettre un acteur en valeur, lui donner sa place, le diriger." Bourgault s’appuie ainsi sur le talent de Dominique Leclerc (Phèdre), Sharon Ibgui (Aricie), Ludger Côté (Thésée), Julie de Lafrenière (OEnone), Pierre-Antoine Lasnier (Théramène) et Enrica Boucher (Ismène et Panope), dont plusieurs sont ses complices de longue date. "Jouer Phèdre, c’est souffrant. Il faut que les comédiens acceptent d’aller fouiller au fond d’eux-mêmes. Cela exige de la générosité et de l’audace."