Norway.today : La fureur de vivre
Scène

Norway.today : La fureur de vivre

Avec Norway.today, Philippe Cyr fait voir et entendre, ressentir la détresse et l’enchantement des adolescents d’aujourd’hui.

Il ne s’agit que d’une deuxième mise en scène en solo pour Philippe Cyr et déjà on ne peut s’empêcher de s’enthousiasmer pour son travail. Après s’être approprié Les Escaliers du Sacré-Coeur, de Copi, un spectacle délicieusement iconoclaste, le jeune homme se porte avec beaucoup de doigté à la défense de Norway.today, un texte d’Igor Bauersima. C’est le Groupe de la Veillée qui a eu la bonne idée de faire découvrir le texte de l’auteur suisse de langue allemande, une pièce qui se penche avec finesse et sensibilité sur la soif de sens des rejetons de l’ère virtuelle.

Dès le début de la représentation, la musique et les projections traduisent l’énergie vitale de la jeunesse, mais aussi une rage, un certain désespoir. Juliette et Auguste vivent le plus clair de leur vie dans un forum de discussion, un espace abstrait, public sans l’être, un chat room où on entre en relation avec ses semblables sans le faire véritablement. Quand Juliette propose à Auguste de mourir en sautant dans la beauté indicible d’un fjord norvégien, le jeune homme accepte. C’en est assez pour les deux adolescents de vivre avec l’imminence de la fin du monde, avec le mensonge et la captivité intellectuelle, les réchauffements et les refroidissements qui sont sur le point de tout détruire.

La scénographie de Geneviève Lizotte, les lumières de Marie-Ève Pageau, l’environnement sonore de Thierry Gauthier et la vidéo de Lucie Bélanger et Louis Bouchard traduisent à merveille l’imaginaire numérique et hypertextuel des deux héros. Cet espace vertigineux, longue passerelle suspendue au-dessus d’une mer de vêtements, Sophie Desmarais et Jonathan Morier (tous deux plus vrais que nature) le partagent avec des images de toutes sortes: une symphonie de moutons, Dolly Parton qui chante Jolene, Nathalie Wood dans Rebel Without a Cause, des paysages maritimes à faire rêver… Un coq-à-l’âne de références sonores et visuelles on ne peut plus contemporain. Il y a aussi ces micros qui nous entraînent dans l’intimité d’une tente où le désir monte. Cette caméra vidéo qui capte et restitue, en direct, la moindre expression des visages. En somme, une brillante utilisation théâtrale de ces technologies sans lesquelles on n’oserait plus imaginer la vie.

Ainsi, sous nos yeux, Juliette et Auguste ne cessent de mettre leur quotidien en scène, de le consigner, de le commenter, de le reformuler. Une manière de démêler le vrai du faux, de s’approcher du noyau dur de l’existence. À leurs yeux, tout semble factice, contrefait ou, comme ils ne cessent de le répéter, fake. Leur quête en est une d’identité, mais surtout d’authenticité. Pas surprenant que notre monde en crise enfante des adolescents de la sorte. Juliette et Auguste sont à la fois pessimistes et lucides, capables du pire et du meilleur. Ce sont des enfants philosophes, des exclus qui se sont trouvés, des âmes soeurs en fugue, des amoureux malgré eux. Les fréquenter redonne gout à la vie.