L’Étranger : À la plage
La Compagnie théâtrale de la Mer, venue de Sète dans le sud de la France, propose une terne relecture de L’Étranger de Camus.
Que la metteure en scène Moni Grégo ait cherché à éclairer une nouvelle facette de L’Étranger est en soi plutôt réjouissant. Et elle a beaucoup de culot, car sa relecture est à des années-lumière des interprétations canoniques de l’oeuvre, bien loin de tout discours intellectuel sur le sentiment d’absurdité et de révolte qui agite l’insaisissable Meursault. On s’en réjouirait si sa vision donnait accès à une nouvelle dimension de la pensée camusienne. Mais, hélas, le solo interprété candidement par le comédien Pierre-Jean Peters n’est pas à la hauteur du texte et en réduit les enjeux.
Grégo semble vouloir dire que Meursault est un personnage bien différent de l’image dans laquelle on l’a toujours cantonné. Parce qu’il ne s’émeut pas de la mort de sa mère, ne manifeste pas d’empressement envers sa partenaire sexuelle, ne semble pas troublé d’avoir tué un homme, on le considère indifférent. Peu de gens sont arrivés à interpréter son histoire autrement que selon le filtre tendu par Camus lui-même dans Le Mythe de Sisyphe: la vie n’a aucun sens et Meursault ne peut que l’observer avec froideur, répondant aux événements qui se présentent à lui sans chercher à en modifier le cours, résistant aux pressions de l’entourage et refusant l’image de Dieu qu’on cherche à lui imposer – ce qui en fait un révolté parfaitement camusien.
La metteure en scène ne se soucie guère de ces considérations. Sa piste de départ n’est pourtant pas erronée. Le soleil et la lumière, qui sont au coeur du meurtre commis par Meursault sur la plage et semblent avoir dicté ses actes, lui servent de point d’appui. La scène est toute baignée d’une lumière jaune et la plage devient l’espace concret tout autant que l’espace métaphorique de l’action. Mais exit la fatalité dans cette mise en scène; Meursault ne semble pas plus être le jouet du soleil que l’homme soumis à l’absurdité de son existence. Il revêt ici les oripeaux de la naïveté, s’exprimant avec une candeur que l’on s’explique très mal.
Les scènes-clés de la pièce sont présentées comme de futiles jeux enfantins: Meursault joue au ballon ou déguste une orange, modulant ses phrases en finales ouvertes qui rapprochent son discours de la parole d’un simple d’esprit et nous font totalement perdre de vue le propos philosophique de Camus. Quel est l’intérêt d’une telle dénaturation de l’oeuvre? Cette question demeurera sans réponse.