Sarah Berthiaume et Emma Tibaldo : Trouver sa voie
Scène

Sarah Berthiaume et Emma Tibaldo : Trouver sa voie

Cette saison, c’est sur Sarah Berthiaume que se porte l’intérêt de Talisman Theatre, une compagnie dont le mandat est de produire en anglais des pièces québécoises contemporaines. Entretien avec l’auteure ainsi qu’avec la metteure en scène Emma Tibaldo.

Dans ce village côtier vidé de presque toutes ses femmes, les pêcheurs ne pêchent plus, mais pleurent à la vue du corps de June qui, soir après soir, se dévêtit au Bar Émotion. Et puis, un jour, l’arrivée d’un étranger vient tout bouleverser… "Je me suis toujours demandé qui dansait dans les bars s’égrenant le long de la route de la Gaspésie, et qui fréquentait ces endroits, explique l’auteure, Sarah Berthiaume. J’avais l’idée d’une femme qui danse là alors que tout le monde la connaît; ça me semblait tellement absurde que j’ai puisé dans les mythes pour magnifier cette histoire."

Sa source principale: les sirènes. "Ce sont des femmes qui ont une emprise sur les hommes, mais qui sont aussi prisonnières de leur statut de séductrices. J’y vois un lien avec les danseuses." La metteure en scène Emma Tibaldo renchérit: "La pièce montre des femmes évoluant dans un monde qui leur a donné une identité issue des mythes et des contes de fées. Chacune à leur manière, elles vont s’en libérer et trouver leur propre chemin."

La pièce – où la magie des contes cohabite avec des scènes du quotidien écrites dans une langue rugueuse – a beaucoup évolué depuis sa mise en lecture au 5e Festival du Jamais Lu et sa création en français par le Théâtre La Rubrique, à Jonquière, en 2008. Il faut dire que Tibaldo est également directrice de Playwrights’ Workshop Montreal, un organisme voué au développement du théâtre contemporain et des jeunes auteurs. "C’est mon premier texte, explique Berthiaume. Il y avait des imperfections dans sa construction, et nous l’avons retravaillé ensemble."

Dans la salle de répétition, les questionnements sur le sens du texte vont bon train: "Les femmes sont-elles des ensorceleuses et les hommes, des victimes? Les femmes ont-elles la responsabilité du désir des hommes ou doivent-elles s’en affranchir et définir elles-mêmes ce qu’elles sont en dehors des mythes qui pèsent sur elles? demande Tibaldo. Ce sont des questions que nous nous posons et nous espérons que les spectateurs se les poseront aussi, car il y a là un débat de société."

L’écriture de Berthiaume étant plutôt colorée, la traduction en anglais a demandé un travail approfondi: "La traductrice, Nadine Desrochers, a gardé l’essence du texte et a fait très attention à son rythme, précise l’auteure, mais elle n’a pas traduit mot à mot, et certaines références ont été adaptées." Ainsi, le Bas-du-Fleuve a disparu et le village est devenu un archétype de village côtier où l’économie s’est effondrée; un thème cher à Berthiaume, que l’on retrouve dans sa pièce Villes mortes, qui sera à l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui en avril prochain.

Selon la metteure en scène, l’équipe de concepteurs partage son goût de l’écriture mêlant réalisme et magie, son intérêt pour une esthétique abstraite. La scénographie évoquera ainsi une carcasse de bateau et utilisera des kilomètres de film devenant au besoin perruque ou algues, et dont le bruit et les reflets figureront l’eau. Avec Stéphane Blanchette, Catherine Colvey, Chimwemwe Miller, Bill Rowat, Amelia Sargisson et Felicia Shulman.