Anne-Marie White : Le choix des illusions
Scène

Anne-Marie White : Le choix des illusions

Trois ans après la présentation initiale de la célébrée pièce Écume, les immenses personnages d’Anne-Marie White reprennent vie. Puisque leur histoire n’était visiblement pas achevée, leur créatrice leur a prêté l’oreille, tout simplement.

"Écume est née d’une histoire qui, du jour au lendemain, m’a habitée, et ce, tout de suite après que j’eus accouché de mon premier enfant. Ça m’est apparu de façon très limpide", lance d’emblée la dramaturge et metteure en scène acadienne Anne-Marie White, alors que Voir l’a conviée à un café-sandwich dans un resto bondé du Marché By, lui permettant ainsi de prendre une pause bien méritée entre deux répétitions de la nouvelle version de son premier spectacle, Écume. Sourire affable, regard percutant et nerveux ponctué de gestes amples qui trahissent tous à leur façon un altruisme probant: White paraît on ne peut plus comblée par le travail que lui procure son premier bébé théâtral. "Quand j’ai pris la barre du Trillium en 2008, je me disais que je venais de passer deux ans sur cette pièce et que c’était bien assez. J’ai finalement cédé et suis retournée à Écume parce que j’étais INCAPABLE de mettre en branle une autre création. Peu importe ce que je faisais, je continuais éperdument à faire parler mes personnages: j’entendais le Croque-Mort, je voyais Morgane… J’avais bâillonné ces personnes", confie-t-elle.

Heureuses collisions

Initialement produite en 2007 par White et sa troupe du Théâtre de la Cabane bleue de North Lancaster, dans l’Est ontarien, Écume, première mouture, s’est vue couronnée d’une pluie de distinctions: Prix du jury Le Droit/Radio-Canada 2008, Prix d’excellence artistique Théâtre Action 2008 et Prix de la Fondation pour l’avancement du théâtre francophone au Canada 2008. "Je comprends pourquoi Écume a été bien reçue. Oui, elle comportait son lot de maladresses, mais elle était avant tout sincère, personnelle et sans prétention", affirme White, pesant chacun de ses mots, tantôt par peur de sonner guindée, tantôt par souci d’exactitude. Et aussi par amour des mots, pourrait-on ajouter. "Une fois que la décision de retravailler le spectacle a été prise, il n’y avait que deux directions possibles: celle de monter une version dépouillée encore plus corporelle, ou celle de monter un spectacle comprenant encore plus de mots. J’ai choisi la deuxième option; l’histoire me demandait ça."

Dès lors, White a fait appel à la conseillère dramaturgique Dominique Lafon, qui lui a permis de revisiter la pièce et, ainsi, de traduire en paroles les fractions d’histoire inédites que le spectacle détenait toujours dans ses tripes. "Je travaille beaucoup par accident. Je prends différentes inspirations, je les colmate, les soude et, dépendamment des résultats, qu’ils soient heureux ou non, je les scotche à mon oeuvre ou je les rejette." Puisque l’auteure et metteure en scène tenait mordicus à ce que ces heureuses collisions découlent intrinsèquement des codes et des repères utilisés précédemment, Écume, version 2010, passera de 55 minutes à tout près de deux heures. Si le retour à la planche de travail s’est avéré ardu, il a révélé des découvertes insoupçonnées, tant pour sa créatrice que pour ses protagonistes.

"Cinq ans plus tard, Écume est devenue de plus en plus un conte fantastique, chose dont je ne me doutais aucunement au départ en 2005, ni lorsque j’ai repris le travail sur la pièce, il y a un an." Au moment d’évoquer les personnages d’Écume, White lance un radieux mais inopiné éclat de rire. "Je suis attachée à ces p’tits personnages-là", confie-t-elle, toujours aussi souriante. "Ils me font rire! J’en saisis encore difficilement la portée…" affirme la créatrice avec un regard qui laisse supposer que, l’instant de quelques nanosecondes d’une dimension qui échappe possiblement à chacun des clients du resto dans lequel nous nous trouvons, elle et l’un de ses individus fictifs tant aimés se sont échangé une blague, un sourire ou un clin d’oeil.

Les fictions vitales

À la piscine municipale, Émile (Pierre Antoine Lafon Simard), jeune biochimiste, fait la rencontre de Morgane (Marilyn Castonguay), femme-poisson aux ancrages résolument abstraits, peut-être surnaturels. Coup de foudre réciproque. En peu de temps, Morgane tombe enceinte. Ensemble, ils entreprennent un voyage initiatique qui les mènera sur la pierre tombale de Simone, la mère de Morgane (Geneviève Couture). Émile, qui a toujours vu sa vie à travers sa foi clinicienne de scientifique, devra alors faire la paix avec un côté de la vie qui ne l’avait auparavant jamais interpellé: l’improbable, l’insaisissable. "En fait, Écume traite du fait que nous sommes tous responsables de ce que nous choisissons de croire. À quoi veux-tu adhérer dans la vie? Je souligne, par le fait même, l’importance de la fiction dans la vie. À quel point, parfois, on n’a pas le choix de se faire des accroires. La politique est de la fiction, comme l’économie l’est. Tout ça est abstrait."

Et quelle est la fiction vitale d’Anne-Marie White? Une longue réflexion suivra cette question. Puis: "J’ai comme l’impression que quotidiennement, je réponds intérieurement à un questionnement, je fais un choix par rapport à ce que je choisis de croire. Je ne sais pas… Écoute, je pourrais probablement mieux répondre à cette question le soir de la première!"