Jackie : Bien vivante
Scène

Jackie : Bien vivante

Dans Jackie, Sylvie Léonard incarne avec beaucoup d’adresse une femme mythique, une princesse forte et fragile, une statue parcourue de failles.

L’intime et le politique, et surtout la vive tension qui s’établit entre les deux pôles, voilà ce qui est au coeur du "drame de princesse" d’Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature en 2004. Jackie, ce sont les confessions d’outre-tombe d’une femme qui fut une personnalité publique, une première dame, une veuve, mais aussi une mère, une épouse, une amante et tant d’autres choses encore que sa société ou son "destin" ne lui ont pas permis d’être pleinement.

La pièce n’est pas, en soi, biographique. Disons qu’elle traduit une vision fantasmée de Jackie Kennedy. Elle donne une voix à une icône, la parole à une image, des nuances à un mythe. Elle fouille l’âme meurtrie d’une femme exceptionnellement intelligente qui a passé sa vie à jouer le jeu cruel des apparences. Il faut le dire d’emblée, le spectacle mis en scène par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, quatrième collaboration entre Espace Go et Ubu, s’appuie sur une partition extraordinaire. Le portrait dressé par Jelinek embrasse la grandeur et la petitesse de son sujet, il inspire l’horreur et l’admiration, donne à ressentir le vertige de Jackie.

Toute la complexité du personnage apparaît dans un prodigieux coq-à-l’âne, un jaillissement d’idées, des considérations graves ou banales qui ne sont finalement pas si disparates. Qu’elle parle des robes d’Oleg Cassini, du suicide de l’écrivaine Sylvia Plath ou de l’incandescence de Marilyn Monroe, qu’elle potine sur ses belles-soeurs, qu’elle aborde ses fausses couches ou qu’elle disserte sur les drogues qui lui ont permis de tenir le coup, Jackie ne creuse au fond qu’un seul et même sujet, celui de la condition féminine.

Dans un lieu sixties qui évoque une salle d’attente, celle d’un aéroport ou d’une clinique médicale, entre les banquettes blanches et les piles de magazines, Life, Paris Match et les autres, Sylvie Léonard est constamment scrutée, suivie dans ses moindres déplacements par un caméraman acharné. Entre eux, un véritable ballet s’instaure; avec l’objectif, un jeu de séduction des plus significatifs. Au fond de la scène, sur un écran, le visage de Jackie s’étale en noir et blanc. De part et d’autre de la scène, des loges permettent à la comédienne de revêtir plusieurs tenues. La robe blanche de mariage, le fameux tailleur Chanel, la robe bleue de soirée, la robe noire de deuil… le défilé de mode de toute une vie. "On a presque plus parlé de mes vêtements que de moi. Et ça, ça veut dire quelque chose! C’était mon écriture, mes vêtements."

Sylvie Léonard, une comédienne qu’on était loin d’imaginer dans l’univers rigoureux de Denis Marleau, relève haut la main le défi de ce rôle plus grand que nature. Drôles ou percutants, les mots de Jelinek sont les siens, coulent tout naturellement de sa bouche, résonnent avec une remarquable justesse. Son corps, sautillant ou rampant, sa voix, haut perchée ou terriblement grave, expriment de manière poignante les états contrastés d’un personnage qui fascine.

Jusqu’au 30 octobre
À l’Espace Go
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