Joëlle Bond : Une petite laine
Le Cardigan de Gloria Esteban de Joëlle Bond, mis en scène par Ann-Sophie Archer, se veut un pont à la fois générationnel et culturel. Premiers rapprochements.
Joëlle Bond a entrepris la rédaction du Cardigan de Gloria Esteban dans le cadre d’un mentorat avec la dramaturge Isabelle Hubert. Cela, après avoir remporté la bourse Première OEuvre de Première Ovation pour Charme, un texte qui a ensuite été lu à Impressions d’ici. Elle voulait d’abord écrire une manière de Terms of Endearment, c’est-à-dire une pièce mettant en scène une relation entre une femme jeune et une autre plus âgée. Aussi, elle tenait à situer le tout dans une bibliothèque, endroit devenu pour elle un véritable lieu de prédilection depuis deux ans.
"J’aime écouter des anecdotes et j’ai envie d’écrire ces histoires parce que je ne veux pas qu’elles se perdent. Il y a des choses dans le texte qui me sont arrivées ou qui sont arrivées à mes amies, à ma mère, à plein de gens qui m’ont déjà parlé de leurs ruptures, confie-t-elle. L’idée est de tendre la main vers une autre génération, mais aussi, vers le public, en disant: "Viens, je vais te raconter une histoire dans une grande amicalité.""
Quelques mois plus tard, Ann-Sophie Archer tombait sous le charme de la pièce. "Joëlle a l’art de la répartie comme peu de gens que je connais, commente-t-elle. Ses dialogues sont révélateurs d’une humanité et c’est de cette façon que j’ai le goût de raconter des histoires. À travers des conflits, des petites mentions, elle donne accès à l’intimité profonde des personnages." Aussi incontournable: son humour, propre à dédramatiser les situations délicates.
APRES STAR ACADEMIE
Plus concrètement, le récit s’étale sur un an et relate le développement d’une amitié improbable entre Fanny (Joëlle Bond) et Marthe (Marie-Ginette Guay), qui travaillent toutes deux à la bibliothèque d’une école secondaire. "Marthe n’est pas très accueillante, précise Joëlle. Fanny arrive à Québec pour s’apaiser, mais elle tombe sur le pire dragon." Il faut dire que la jeune femme vient de rompre avec Patrick Russell, un chanteur pop ayant participé à Star Académie. "Il s’agit d’un double deuil parce qu’elle avait prévu devenir chanteuse avec lui. Finalement, il l’a trompée avec une autre académicienne", poursuit-elle.
Or, l’ancien amoureux revient soudain dans le décor, créant ainsi tout un émoi à la bibliothèque. "Tous les personnages, sauf Fanny, sont des groupies de ce chanteur", explique Joëlle, qui en profite donc pour passer au crible les effets du vedettariat, tant sur leur comportement que sur les émotions de l’héroïne. "Ça doit être épouvantable de se faire laisser par une vedette, qui apparaît comme le bon gars par excellence à la télévision. Ta peine se trouve multipliée par mille parce que tu le vois à Bons Baisers de France, à Tout le monde en parle, sur les autobus", enchaîne-t-elle, avant de remarquer qu’ils rient beaucoup du star system québécois, mais sans s’en exclure ou juger les amateurs de culture pop. Au contraire, ils leur ouvrent les bras en faisant le pont entre leur passion et le théâtre.
SUR FOND DE ROCK DETENTE
Dans ce contexte, la musique devient un personnage à part entière. "Les amants des succès des années 90 [Michel Rivard, Richard Séguin, Julie Masse, Rock Voisine, Kashtin, etc.] seront ravis, indique Ann-Sophie. On s’imagine que c’est l’univers de Marthe, qui écoute du Rock Détente l’après-midi." Ainsi, les chansons permettent d’approfondir les personnages. De même, "comme Fanny est une ancienne aspirante chanteuse pop et que son ex est une vedette, on voulait avoir accès à son intériorité par des vidéoclips", note Joëlle. De sorte que l’ensemble est ponctué de films de Marilyn Laflamme, en équilibre sur une mince ligne entre parodie et beauté touchante.
Toujours dans cette optique, la metteure en scène se sert aussi de la danse, du mouvement pour zoomer sur le monde intérieur des personnages dans les entre-scènes. Ces transitions, qui représentaient d’ailleurs un bon défi puisque le récit se déroule sur une année, ont également été l’occasion d’ajouter "plein de blagues et de détails qui enrichissent le texte", selon Joëlle. "J’ai recherché le réalisme dans les scènes, mais je désirais une touche de magique et de fantastique pour les ellipses", spécifie la principale intéressée.
Enfin, l’auteure croit que, malgré la dimension dramatique de l’oeuvre, le public en retiendra surtout l’humour, "sachant qu’on rit presque une réplique sur trois". "On veut que ce soit chaleureux et invitant", affirme-t-elle. "La comédie réconfortante de l’automne!" résume aussitôt Ann-Sophie, non sans ce sens de la pub qui fait le succès de la pop.