Le Fusil de chasse : Lettres d'amour
Scène

Le Fusil de chasse : Lettres d’amour

Le Fusil de chasse de François Girard est un objet d’une grande beauté qui présente encore quelques imperfections.

La première image du spectacle est saisissante. Une forte pluie. Des litres d’eau qui s’abattent sur la scène. Cette ouverture, spectaculaire mais surtout d’une grande beauté, donne le ton de la soirée. En effet, Le Fusil de chasse de François Girard donne matière à de multiples ravissements esthétiques. Cela dit, il faut bien admettre que la représentation comporte encore quelques scories qui empêchent le plaisir d’être total.

Paru en 1949, le roman du Japonais Yasushi Inoué est composé de trois lettres adressées au même homme, Josuke. La première vient de la fille de sa maîtresse, la deuxième, de son épouse et la troisième, de sa maîtresse. Shoko est jeune mais de moins en moins naïve. Midori est furieuse, vengeresse, exubérante, blessée. Saïko est amoureuse, philosophe, désarmante de sérénité devant la mort. Les trois missives se font brillamment écho, révèlent les multiples facettes d’un déchirant triangle amoureux. Impossible de ne pas être gagné par un récit aussi passionné.

Le jardin zen conçu par François Séguin est d’une beauté subtile, minimale. Sous nos yeux écarquillés, l’espace se métamorphose. Un étang se vide. L’eau et les fleurs de lotus se retirent, laissent place à la pierre, un tapis de roches polies, luisantes, qui sont ensuite remplacées par des lattes de bois. Au fond de la scène, les caractères japonais des trois lettres sont projetés. La machinerie est simple et efficace. La matière dialogue à merveille avec les lumières de David Finn.

Venons-en aux fausses notes. Tout au long du spectacle, on se demande ce que Rodrigue Proteau fait en fond de scène, silencieux, plus ou moins immobile, grimaçant. Son interprétation mimée de Josuke (du butoh?) ne convainc pas le moins du monde. Pire, elle distrait de l’essentiel. L’essentiel, c’est Marie Brassard. Pour incarner les trois femmes, la comédienne joue de nuances, se sert de ses indéniables aptitudes corporelles et vocales. Les superbes vêtements imaginés par Renée April sont loin de lui nuire.

Pourtant, sans qu’on s’explique exactement pourquoi, dans les deux premiers tiers de la représentation, le jeu est fragile, les mouvements manquent d’assurance, la parole est difficultueuse, la diction, défaillante. Un problème d’apprentissage du texte pourrait-il être responsable de la situation? Le spectacle était-il prêt à rencontrer le public? La question se pose.

Heureusement, durant le dernier monologue, le malaise se dissipe. Brassard a manifestement de la difficulté à revêtir son haori (un vêtement de soie qui s’apparente au kimono), mais elle a retrouvé son aplomb physique et verbal. Durant la scène finale, un moment de grâce où chaque geste et chaque intonation trouvent leur juste place, on entrevoit ce que pourrait être le spectacle une fois à terme. Souhaitons-lui donc la longue vie qu’il mérite.