Turcs Gobeurs d’Opium – Mustang : Vroum… bang!
Deux automobiles soudées par la force d’un impact. Deux couples isolés au nord du Nord. Allons les rejoindre à bord de la Mustang des Turcs Gobeurs d’Opium.
"As-tu besoin d’un lift?" me demande André Gélineau en passant la porte de la microbrasserie où, durant la dernière heure, il a disséqué, comme on démonte un moteur, Mustang, la nouvelle pièce des Turcs Gobeurs d’Opium dont il est l’auteur et le metteur en scène (assisté de Simon Vincent). Il y a un an, pourtant, les seuls "lifts" que le jeune homme de théâtre pouvait offrir à ses amis et aux journalistes pédestres supposaient le don d’un jeton de la STS ou la compromission de son dos. "Je n’ai pas pris mon permis de conduire pendant plusieurs années pour différentes raisons, mais je sais que le danger de la voiture a été exacerbé dans ma famille… Plein de phobies, des morts… Parallèlement, l’amour des voitures a toujours été présent; je viens d’une famille de mécaniciens. Finalement, il y a un feeling de drive au volant que j’aime bien."
Cette relation d’attraction-répulsion du dramaturge pour les automobiles n’est pas sans rappeler celles qui lient les personnages de son oeuvre, mésadaptés affectifs "qui s’aiment mais s’aiment mal", pris ensemble à cause du fatum. Ou, comme c’est le cas cette fois-ci, à cause des circonstances: une Plymouth et une Mustang entrent en collision sur la Transtaïga, route qui traverse le territoire de la Baie-James. Disons que les secours, là-bas dans le Nord, n’arrivent pas aussi vite que sur la 10. "C’est un prétexte qui impose un huis clos à partir duquel les issues deviennent difficiles, explique-t-il. Il n’y aura pas de police, pas d’ambulance. J’aime beaucoup l’idée du stress qui révèle quelqu’un. L’accident fragilise les masques du quotidien, les personnages sont en état de crise."
Une fille soumise (Véronique Laroche) aura ainsi beaucoup de temps devant elle pour demander à une cantinière pas très rationnelle (Marianne Roy) pourquoi elle se trimbalait avec le cadavre de son chum poltron "qui fourre à gauche à droite" (Alexandre Leclerc), déjà mort avant l’impact. On devine que l’"espèce de geek qui tripe sur les superhéros" de chum (Jean-Moïse Martin, première collaboration avec les Turcs) de cette blonde adultère (indice…) réclamera lui aussi quelques éclaircissements. Un drame dont on comprendra la nature par couches successives, dans un 24 heures non chronologique couvrant l’avant et l’après-accident.
De la vraie tôle?
Après un détour par la fable – grotesque mais fable quand même – de Thyroïde, les Turcs reviennent à une proposition plus réaliste, dans la mesure où Sainte-Johanne-des-Calvettes, village imaginaire d’un Québec rural injecté aux hormones de la promiscuité et du silence incestueux qui est à Gélineau ce que le Plateau était à Tremblay, peut charrier un univers réaliste. "J’avais envie d’une pièce moins manichéenne. Dans Thyroïde, la Torchonne accusait tous les autres d’être méchants, elle était une victime. Là, c’est plus subtil. Personne n’a tort, personne n’a raison."
Le fou de tôle froissée sera-t-il rassasié, montrera-t-on l’impact sur la scène du Théâtre Léonard-Saint-Laurent? "J’ai voulu suggérer la force du choc pour secouer, nuance le metteur en scène, mais après il y a un silence, une tension. J’ai préféré éviter le cliché de l’accident où on hurle, où ça saigne. J’avais envie de travailler la puissance du banal, comment la parole peut devenir un tic en temps de crise. Dans la vie, quand quelque chose de tragique se produit, on va quand même se demander qui va aller acheter la pinte de lait. Tu parles, ce n’est pas important, mais en dessous il y a autre chose qui se trame." Moins de monologues déclamatoires, plus de babil qui dénude l’âme, promet donc Gélineau.
Et pour de vrais chars écrapous, il y a le Monster Spectacular au Stade olympique.