Yves Desgagnés : Le temps des cerises
Scène

Yves Desgagnés : Le temps des cerises

La boucle est bouclée: Yves Desgagnés monte son cinquième Tchekhov chez Duceppe. La Cerisaie le confronte à la multiplicité des intrigues et au croisement des genres.

La "petite musique tchékhovienne" n’aura jamais été aussi diversifiée que dans La Cerisaie, écrite en 1904, année de la mort de Tchekhov, à peine quelques mois avant le premier soulèvement populaire menant à la Révolution russe. Dans un climat de révolte naissante, l’auteur s’est lancé dans une histoire à multiples trames, comme autant de manières de signifier la fin d’un monde. Sur cette cerisaie qui sera bientôt vendue, les personnages vont et viennent de manière décousue, dans une sorte de ballet dont le genre porte à discussion. Est-ce une comédie, même un vaudeville, ou un drame dont le tragique est plus profond qu’il en a l’air?

Les Européens, depuis quelques années, s’en donnent à coeur joie lorsqu’ils revisitent La Cerisaie. Peter Stein a misé sur la cohabitation des différents genres (du burlesque au tragique), Matthias Langhoff a créé un univers grotesque et désoeuvré alors que Peter Brook en a proposé une vision tendre et nostalgique. Yves Desgagnés n’est pas loin de croire que c’est une erreur de trop choisir son camp. "Il y a dans cette pièce des dizaines de couches, et en effet l’addition de toutes ces fines situations dramatiques peut créer des moments très comiques et des moments très dramatiques. Tchekhov est autant social que politique, qu’intimiste, qu’humaniste, que comique, que tragique, qu’anecdotique et que profond. Le défi est donc de ne rien échapper. Sinon ce n’est plus Tchekhov."

Desgagnés, qui a déjà réalisé au cinéma une transposition très contemporaine de Roméo et Juliette sur laquelle on ne reviendra pas, sait bien qu’il aurait pu situer La Cerisaie dans un univers franchement québécois. La langue tchékhovienne, plus simple et familière que ce que les Français nous ont transmis via leurs multiples traductions, se prête bien à l’âme populaire québécoise, et le sentiment d’inutilité sociale vécu par tous les personnages (ils se disent bons à rien) a de fortes résonances dans notre actualité. "Mais, dit-il, ça aurait été une aberration de faire une relecture. Tchekhov n’est aucunement poussiéreux, et rien ne sert de le dénaturer. On a toutefois commandé une nouvelle traduction à Elizabeth Bourget, car la langue se devait d’être plus directe."

Desgagnés, comme d’habitude, privilégie une approche visuelle et crée des tableaux en s’inspirant de la peinture (il appelle ça de la peinture-théâtre), mais il mise avant tout sur les acteurs. Michel Dumont et Maude Guérin, qui furent de toutes ses aventures tchékhoviennes, sont de retour, comme Catherine Trudeau qui est du voyage pour la troisième fois. Et dans toutes ces situations dramatiques, bien sûr, il y a de passionnantes constantes, des questions fondamentales adressées à ces personnages qui portent le poids du passé et ne savent que faire du temps qui passe. "On peut résumer en disant que cette pièce porte sur l’enfance perdue. On discute de ça en répétition ces jours-ci. Qu’est-ce-qui fait qu’on devient adulte? Est-ce le moment où on prend des responsabilités? Ceux qui ont peur des responsabilités, en tout cas, retrouvent assez souvent des comportements enfantins, et c’est un peu ce qui arrive à certains personnages de Tchekhov, qui doivent être pris en charge par les autres."