Yvann Alexandre et Harold Rhéaume : Sous le signe du lien
Scène

Yvann Alexandre et Harold Rhéaume : Sous le signe du lien

Le Québécois Harold Rhéaume et le Français Yvann Alexandre se risquent à l’hybridation de leurs signatures chorégraphiques dans Jumeaux. Une oeuvre en trois volets sur ce qui nous sépare et ce qui nous rassemble.

C’est à l’occasion d’un séjour de ressourcement au Québec qu’Yvann Alexandre rencontre Harold Rhéaume, en 2004. D’emblée rapprochés par des préoccupations similaires, les deux hommes amorcent une série d’échanges professionnels franco-québécois qui vont s’échelonner sur plusieurs années avant que naisse le désir d’une création commune.

"Nos langages artistiques sont en totale opposition, mais nous avons de nombreux points communs, comme un souci particulier de la transition et un amour vraiment confiant envers le mouvement: nous ne ressentons pas le besoin d’utiliser du texte ou des arts conceptuels visuels, commente Alexandre. Cette rencontre en studio est une aventure unique, déroutante, complexe, mais ô combien oxygénante."

Avant de montrer cette oeuvre hybride, un quatuor de 40 minutes intitulé Les Fractions, les deux créateurs ont voulu affirmer leurs signatures respectives. Jumeaux est donc un programme triple dans lequel Alexandre signe Homogène Duo, une pièce inspirée du mythe de Narcisse et dans laquelle un individu dialogue avec son reflet. Quant à Rhéaume, il y étudie la fusion et la triangulation dans L’Autre. De styles très différents, quoique formels, les oeuvres sont traversées par les thèmes du double, du clone, de la similarité et de la différence. Car des différences, il y en a beaucoup entre les deux chorégraphes, et il n’a pas toujours été facile de composer avec elles.

"La gestuelle d’Yvann est très écrite, tout est codifié, comme des partitions avec un abécédaire complet que ses danseurs connaissent très bien, explique Rhéaume. Il lui suffit de donner une indication pour qu’ils trouvent le positionnement, le placement dans le corps et la qualité du mouvement. Il y a eu un gros choc avec mes danseurs. À l’inverse, je suis plus instinctif et spontané dans ma démarche: je laisse jaillir le mouvement dans mon corps avant de le transmettre, et l’implication de l’interprète dans ma gestuelle est importante. Ça demande plus de temps, ce qui, en studio, tout à coup, sous le regard des Français, créait une tension, un stress…"

"J’ai ressenti exactement le même type de sentiments, confie Alexandre. J’aurais aimé pouvoir improviser et répondre instinctivement aux instantanés de mon ami Harold. Pour moi, ça a été une course contre la montre: j’avais la nuit pour finir des partitions pour être sûr d’être tranquille et serein le lendemain… En fait, on s’est associés parce qu’on est différents dans nos langages et nos processus, et on s’est rendu compte que seules les finalités étaient importantes. On passe par des chemins différents, mais on travaille l’un et autre pour que le geste soit le plus juste possible."

Entre partage et questionnements, les deux chorégraphes pensent avoir réussi une véritable fusion, cherchant sans cesse des solutions pour faire cohabiter leurs signatures sans jamais perdre leur intégrité. Au fil du temps, les six danseurs sont parvenus à s’accorder pour former un tout homogène. Et pour que la rencontre soit totale, il y a eu aussi mélange des équipes administratives, techniques et créatives. Une oeuvre qui témoigne d’une prise de risques et d’un engagement total de la part de tous.