Catherine Vidal : Mère patrie
Scène

Catherine Vidal : Mère patrie

Elle aime quand le théâtre se raconte lui-même et qu’il se mêle aux plus grandes aventures humaines; elle aime donner vie à de grands romans. C’est Catherine Vidal, de retour au Quat’Sous avec Amuleto, pièce inspirée d’un roman de Roberto Bolano.

Même si elle flotte encore sur le nuage du Grand Cahier, sa première mise en scène reprise avec grand succès au Quat’Sous cet automne, Catherine Vidal a déjà le nez dans deux ou trois autres projets. Le plus important est cet Amuleto qu’elle s’apprête à dévoiler avec les comédiens Olivier Morin et Renaud Lacelle-Bourdon, fidèles acolytes, ainsi que Dominique Quesnel et Victor Trelles Turgeon. Elle planche là-dessus depuis un long temps, parce que ce roman s’est retrouvé sur son chemin personnel autant que professionnel il y a quatre ou cinq ans, lors d’un pèlerinage jusqu’au Chili, où vit encore toute sa famille élargie.

Comme souvent quand on arpente l’un des pays du continent sud-américain, c’est toute la latinité du vaste territoire qui nous happe d’un coup. Ainsi, ce roman de Roberto Bolano se déroule au Mexique, même si l’auteur est chilien, et Vidal l’a peut-être lu en parcourant l’Argentine, où elle s’est transformée en spectatrice à plein temps pendant un mois en 2005, errant dans les théâtres indépendants de Buenos Aires. Le "bouillonnement" des jeunes comédiens argentins semble l’avoir pas mal inspirée. Ça donne le goût d’aller y faire un tour.

Dans son Amuleto, ce sont les poètes qui bouillonnent. On est en 1968, les manifestations étudiantes se multiplient à Mexico, et l’armée envahit le campus universitaire le 18 septembre. Dans les toilettes, pendant 12 jours, une femme sera enfermée. Auxilio LaCouture, la "Mère des Poètes", erre dans ses pensées et a des visions troublantes du futur. Les jeunes poètes avec qui elle traîne et qui s’engagent dans des "actes poétiques subversifs" sont peut-être en train de marcher tout droit vers l’abîme. Ces poètes, ce sont des "infraréalistes", mouvement lancé par Bolano dans les années 70 pour affirmer une volonté de rupture avec les poètes établis (ils sabotaient les récitals d’Octavio Paz). Un chapitre assez méconnu de l’histoire de la littérature latino-américaine.

"Ce qu’on voulait arriver à faire, dit Vidal, c’est travailler l’allégorie de la mère de la poésie en la jumelant à l’idée de la mère patrie. C’est une mère patrie qui voit ses jeunes évoluer et grandir, qui les assiste. Elle traîne avec eux, elle est un peu étrange, elle ne vit de presque rien, elle est comme cette terre latino-américaine qui a vu ses enfants marcher vers le trou: ils ont tellement cru au rêve socialiste qu’ils n’ont pu que déchanter. On essaie de porter un regard éclairé sur les grandes utopies. Bolano est de cette génération d’artistes qui ont lutté pour un rêve illusoire, et je crois qu’il montre bien que malgré un résultat mitigé la lutte en valait la peine et qu’il ne faut pas baisser les bras."

Un spectacle sur l’engagement et sur le pouvoir des mots, mais sans trop de naïveté, car Vidal ne cherche pas à survaloriser les poètes et à dénoncer unilatéralement les abus du pouvoir et de l’armée. "Les auteurs chiliens sont toujours assez lyriques et fleuris quand ils parlent de leur pays. Bolano, lui, aime sa patrie, mais demeure toujours critique et lucide, il a cet humour noir que j’affectionne beaucoup."

Tout cela mérite donc des nuances, et peut-être sont-elles possibles grâce à la forme narrative que la pièce va emprunter, en s’inspirant du roman. Les personnages se racontent sans toujours dialoguer, et créent leur univers avec des accessoires et des meubles dénichés ici et là. Ceux qui ont vu Le Grand Cahier connaissent la formule, mais Vidal assure que "l’ambiance est tout autre cette fois-ci."

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Naissances

Du 30 novembre au 18 décembre, à l’Espace Libre, Catherine Vidal se joint à la bande du Nouveau Théâtre Expérimental pour le spectacle Naissances. Ode à la courte forme, au miniature, et tentative de théâtre pour petits groupes de 20 spectateurs à la fois, la pièce fait aussi appel aux esprits créateurs de Simon Boulerice, Gary Boudreault, Francine Alepin et Stéphane Demers, selon une idée originale d’Alexis Martin et Daniel Brière. "C’est de l’ordre du microclimat, explique Vidal. J’ai choisi de travailler le thème de la tache de naissance, ce sera plutôt installatif, mon affaire. C’est un vrai plaisir de travailler la microforme. Je travaille avec des objets, encore une fois, je m’inspire des boîtes surréalistes de Joseph Cornell. L’idée, c’est de rejeter le grandiose et le spectaculaire, de favoriser le low-tech."