Cibler : Résonances vivantes
Scène

Cibler : Résonances vivantes

Avec Cibler, Karine Ledoyen nous propose de renouer avec l’espace intime qu’est notre enveloppe charnelle, le temps de voir surgir devant nos yeux l’énergie vitale qui entoure la mort.

Quelqu’un se présente un matin au studio de danse K par K avec une pelotte de laine. Karine Ledoyen la prend, la déroule, l’effiloche, la manipule, la touche. C’est le début de Cibler. De fil en répétitions, le processus est enclenché. Celle que l’on connaît désormais pour les spectacles Osez (2002, redansé à Bruxelles et à Newport) et Gonflez l’histoire (spectacle présenté lors des fêtes du 400e de Québec, sur le bassin Louise, chaque soir avant le Moulin à images de Robert Lepage) crée un spectacle vibrant, qu’elle nous livre en toute simplicité.

"On vit dans une société qui régit tout, qui pense à notre place, qui laisse peu d’espace à la liberté de penser, à la liberté d’être. Avec Cibler, je propose au spectateur un moment de détente, un espace de liberté", dit celle qui invite le spectateur à rester après la représentation, dans l’espoir d’un échange, d’une rencontre, d’un dialogue.

Mettant en scène trois danseuses (Julie Belley, Véronique Jalbert et Sonia Montminy) et une comédienne (Sophie Thibeault) venant ponctuer l’action, la jeune chorégraphe explore un terrain nouveau. Moins ludique, moins léger que ses créations précédentes. Cibler, c’est un voyage dans le corps, quelque part entre la tête, le coeur et les tripes.

Sans être une oeuvre autobiographique, Cibler puise son énergie dans un drame, celui de la mort volontaire d’un ami proche. "Le drame, c’est l’épicentre. Et l’onde de choc se propage parmi ceux qui restent. (…) L’image qui le représente bien est la première scène, où l’on voit une femme, à laquelle sont attachées plusieurs ficelles de laine. La danseuse n’effectue que d’infimes mouvements, pourtant ils résonnent dans tout l’espace." Mais après la mort, la vie continue. À un rythme parfois difficile à soutenir. Ledoyen pousse ses danseuses dans une chorégraphie très physique, jusqu’à l’épuisement, comme quand on se lance éperdument dans l’action pour ne pas penser au moment présent. Pour ne pas sentir la douleur. Pourtant, elle arrive, cette douleur, comme une rédemption, comme le calme après la tempête, lorsque le corps s’épuise. "La pièce a d’abord été montée avec une énergie brute, sans émotion. Le mouvement avant l’idée. L’émotion est arrivée d’elle-même. Elle s’est insérée naturellement dans la création."

Puisque la perte, l’abandon et le rejet sont des sentiments universels, Karine Ledoyen fait le pari de toucher un très large public. Pour elle, la danse est le meilleur moyen de faire passer le message, car la douleur est un drame physique. "La danse est une manière de s’impliquer avec le corps", dit celle qui a besoin d’action pour être en état de création. Et de l’action, il n’en manque pas dans la vie de Karine Ledoyen, qui gère des projets d’envergure internationale et nous promet un nouveau spectacle, Air, pour janvier 2011.

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DES GESTES… ET DES MOTS

La danse est sans aucun doute un des arts de la scène les plus méconnus du grand public. De ce fait, le vocabulaire associé à cette pratique n’est pas aussi riche que lorsqu’il est question de théâtre ou de musique. Saluons donc l’initiative des trois diffuseurs de Cibler, qui ont eu la merveilleuse idée d’inviter des auteurs de la région à rédiger des textes que le spectacle de la troupe K par K leur inspirera. Le public d’Alma aura la chance d’entendre les impressions de Céline Larouche et de Charles Sagalane, tandis qu’à Jonquière, Mylène Bouchard et Nicolas Longpré auront la tâche difficile de traduire Cibler en mots. Une excellente occasion de démystifier la danse. (J. Martel)