René Richard Cyr : Le temps d'une dinde
Scène

René Richard Cyr : Le temps d’une dinde

Théâtre-miroir. René Richard Cyr le dit clairement: en mettant en scène Minuit chrétien, il veut que les spectateurs de la Compagnie Jean Duceppe reconnaissent leurs propres travers. Entrevue.

Voici une énième mise en scène de René Richard Cyr, la première cette saison, même s’il en enchaîne parfois trois dans une année. Peut-être a-t-il eu besoin d’un peu de temps cet été et cet automne pour se remettre de la frénésie Belles-Soeurs? Le succès de la pièce ne s’épuise pas. Du vrai théâtre populaire, au sens noble du terme.

C’est pareil quand il travaille chez Duceppe, ce "théâtre du peuple où on peut encore atteindre un très vaste public et jouer plus longtemps qu’ailleurs, jusqu’à 34 représentations". Le metteur en scène s’y sent privilégié. Et il n’aurait pas envisagé de monter ailleurs cette pièce du Français Tilly dans laquelle une famille se déchire entre la dinde et le foie gras, chacun des convives exposant de plus en plus crûment ses vices et son hypocrisie. "J’ai adapté la pièce, dit-il, pour qu’elle soit ancrée dans le Québec, parce que je voulais que le miroir soit tendu aux Québécois, en pleine face. C’est du théâtre d’identification, profondément. Je ne voulais pas que le spectateur se dise: mais oui, on sait bien, les Français sont comme ça. Non. Nous aussi, on est comme ça: hypocrites, superficiels, cruels. Et on joue ça chez Duceppe, devant le bon monde, où ça aura un véritable impact. Ça ne servirait pas à grand-chose de jouer ça à l’Espace Go, ça ne brasserait pas la cage."

Voilà qui est dit. Le bon monde n’a qu’à bien se tenir. Pourtant, il rira aussi beaucoup. Car cette pièce, même si elle n’est pas à proprement parler une comédie, ne se prive pas de verser par moments dans le rire. "Oui, c’est vrai, se défend Cyr, mais ce n’est pas un rire grossier. D’ailleurs, Tilly n’écrit pas vraiment de comédies, en général. Dans ses autres pièces, Spaghetti bolognese, Les Trompettes de la mort, Charcuterie fine, il y a une certaine parenté avec l’écriture de Serge Boucher; beaucoup de non-dits, de trous à combler, de choses qui se passent entre les lignes. C’est moins le cas ici, mais il y a la même cruauté chez les personnages, une cruauté masquée par le voile des apparences. La mécanique de la pièce s’articule autour des jugements que portent les personnages les uns sur les autres sans en avoir l’air. C’est un auteur de la cruauté humaine, de la cruauté du quotidien, de l’hypocrisie, c’est d’une grande vérité. La critique sociale est très crue, pas du tout dissimulée, et dans ce sens-là, c’est moins près de Boucher, mais c’est franchement intéressant."

En effet, sans tirer le trait trop fort, Tilly aborde la surconsommation, la maltraitance des aînés, l’homosexualité. "Toutes sortes d’enjeux sociaux sont abordés, mais ils émergent tout naturellement de l’histoire. C’est la force de Tilly, il raconte de bonnes histoires tout en disant beaucoup de choses importantes – il a un point de vue à partager, sans l’imposer bêtement." Êtes-vous prêts à vous faire brasser?