Lise Castonguay / Wajdi Mouawad : Temps d'arrêt
Scène

Lise Castonguay / Wajdi Mouawad : Temps d’arrêt

Lise Castonguay, qui joue un des rôles-titres des Trois Soeurs de Tchekhov dans une mise en scène de Wajdi Mouawad, nous parle du spectacle et de sa seconde vie. Entre Moscou et São Paulo.

Présenté en 2002 au Trident, puis ailleurs au Québec et en Europe, Les Trois Soeurs, mis en scène par Wajdi Mouawad, connaît un nouveau souffle. L’été dernier, l’équipe du spectacle a réalisé le rêve de ses héroïnes en se rendant à Moscou pour participer au Festival Tchekhov. Elle s’apprête maintenant à reprendre la pièce pour les 40 ans du Trident, avant de la transporter à São Paulo.

Principale nouveauté au menu: Gill Champagne remplace Paul Hébert, qui ne pouvait être du voyage. "Son arrivée a fait converger des idées, des désirs que Wajdi avait, raconte Lise Castonguay. Il s’intéresse de plus en plus aux arts plastiques dans ses spectacles. Comme Gill est aussi peintre, une porte s’est entrouverte pour intégrer la peinture à la pièce et cet élément ajoute beaucoup."

Cette fois, le metteur en scène a abordé le travail du jeu, qui allie toujours naturalisme rythmé et moments transposés, en leur demandant de "déplier les mots". "Pour voir quels autres sens ils pourraient avoir et si ça éclairait quelque chose", précise-t-elle. Une approche stimulante puisqu’elle leur a permis de revisiter en profondeur cette oeuvre sans véritable intrigue, relatant quatre moments dans la vie de trois soeurs et de leur entourage.

"Tous les acteurs rêvent d’interpréter Tchekhov. En même temps, quand on découvre ses pièces, on a l’impression qu’il ne se passe rien parce que tout se joue entre les répliques", commente-t-elle. Ainsi, leur force réside dans la justesse du portrait humain. À ce propos, elle observe que son personnage, la responsable Olga, "a parfois sur ses soeurs le regard lucide, attendri et exigeant de Tchekhov", qui fut "un témoin exceptionnel de son temps".

N’empêche, la comédienne a aussi l’impression "qu’il parle de nous autant que de ses compatriotes du tournant des 19e et 20e siècles". De même, la mise en scène, au lieu de chercher à nous ramener à cette époque, a plutôt tendance à abolir les frontières de l’espace-temps. "Pour moi, la pièce est d’actualité; elle porte sur l’immobilisme et la complaisance", ajoute-t-elle. Car les trois soeurs désirent partir pour Moscou, la Terre promise, mais n’agissent jamais en conséquence.

Or, justement, Wajdi Mouawad a voulu faire ressortir ces paradoxes intérieurs et la solitude des personnages. Dans cette optique, le décor prend la forme d’une manière de débarras. Là, les trois femmes oeuvrent à s’enraciner sur place en réalisant des travaux pour la maison. "Beaucoup de scènes se passent derrière les murs. Ce lieu devient une espèce de refuge, où on peut échapper au groupe et être soi-même", poursuit-elle.

Enfin, le metteur en scène y va également de sa réflexion sur le théâtre à travers la transgression de certaines conventions. Une vision qui a apparemment séduit les Moscovites. "Nous serons de la Saison de la Russie au Brésil, indique-t-elle. Ils ont dit: "Vous nous révélez Tchekhov à nous-mêmes, on veut que vous veniez avec nous montrer qui nous sommes."" Un "honneur extraordinaire", quoi.