Nina Arsenault : Beauté plastique
Regardez bien ce visage. C’est celui de Nina Arsenault, née homme mais devenue cette femme-Barbie après 60 chirurgies plastiques. Un parcours "hautement spirituel" qu’elle raconte dans son spectacle solo The Silicone Diaries.
Devant ce visage de chair et de silicone, indéniablement plastique malgré sa profonde humanité, Freud aurait sans doute parlé d’"inquiétante étrangeté". La Torontoise Nina Arsenault, dans sa quête éperdue de beauté, a choisi d’aller au bout des possibilités de la chirurgie et de faire de son corps et de son visage une oeuvre presque totalement plastique, se fabriquant une beauté de poupée Barbie dont elle revendique fièrement l’unicité.
"Au départ, dit-elle, je n’étais qu’un jeune homme désirant être une femme. Mais plus les chirurgies avançaient, plus je me rendais compte qu’il est difficile d’éliminer complètement les traces de masculinité. Il y avait deux options: soit je me contentais d’un corps transgenre, soit j’éliminais la majorité des attributs mâles et je devenais presque entièrement plastique. J’ai choisi la deuxième option parce que je savais que, personnellement, j’y trouverais la beauté que je cherchais."
Au bout du fil, Arsenault raconte cela d’une voix douce, zen même. Elle n’est pas la nunuche que ceux qui regardent trop vite son apparence pourraient imaginer. Pour elle, transformer son corps ne fut pas que la réponse à un malaise identitaire, mais bien une démarche authentique menant à l’expérience de la beauté. Au sens noble du terme, elle aspire à cette beauté que les esthètes n’arrivent pas à définir, celle qui fait crier au chef-d’oeuvre, celle qui éblouit tous les humains, toutes cultures confondues. Une beauté spirituelle.
"Il n’y a absolument rien de superficiel dans ma quête de beauté, dit-elle. Je m’y suis dévouée tout entière comme on se dévoue à la vie elle-même. Il y eut des moments de souffrance comme des moments d’extase, et ces tonnes de chirurgie m’ont très souvent menée sur le chemin de la spiritualité. Nous voulons tous être beaux, et je crois qu’il y a beaucoup à comprendre de nous dans cet idéal esthétique que nous nous imposons. Il est malheureusement trop rare que nous osions aborder le thème de la beauté humaine de façon sérieuse."
Beauté, spiritualité et corps-oeuvre: voilà qui nous ramène au théâtre, le lieu par excellence où exprimer la dimension sacrée de la transformation de Nina. Elle en est convaincue. "Le théâtre est encore le lieu où tout s’arrête et où l’on prend le temps d’écouter une parole. Vous savez, je suis aussi fascinée par les geishas, et je pense qu’il se produit au théâtre la même chose que lorsqu’une geisha vient servir le thé et raconter une histoire, avec de petits gestes précis et féminins. Les geishas, d’ailleurs, elles sont comme moi: elles ont souffert pour être belles, en ont fait une démarche spirituelle et ont trouvé l’harmonie entre leur corps et leur esprit."
Si Arsenault dit s’inspirer aussi de la performeuse Marina Abramovic, qu’elle admire "parce que son art est sans compromis", on comprend que ses véritables obsessions sont du côté de l’Orient. Elle ne peut pas devenir geisha, mais elle compte bientôt suivre une formation en danse butô au Japon. De l’homme à la femme, de la table de chirurgie au théâtre, puis du théâtre à la danse, il n’y a que quelques pas.