Jocelyne Montpetit : Portraits de femmes
Trente ans après y avoir fait ses débuts avec Omnibus, Jocelyne Montpetit revient au Quat’Sous en chorégraphe accomplie et rend hommage au maître de butô qui l’a mise au monde.
Son tout premier solo, Jocelyne Montpetit l’a présenté au Japon dans les années 1980, poussée par le maître de danse butô Tatsumi Hijikata qu’elle a eu la chance de côtoyer pendant neuf mois, "le temps d’une naissance", avant qu’il ne disparaisse. De cette figure mythique de l’avant-garde japonaise des années 1960 connue comme l’architecte du butô, elle a appris, entre autres, que la danse naît d’une descente à l’intérieur de soi, dans les ténèbres des mémoires enfouies.
"Il m’a appris la liberté dans la création", reconnaît celle dont la nouvelle pièce s’inspire de La danseuse malade, livre-référence de ce créateur qu’aucun traducteur n’a encore réussi à transcrire. "C’est comme un livre des sens où tout est dit mais où personne n’est nommé, explique la chorégraphe. Il s’approche de son enfance, va fouiller loin en lui, et on voit apparaître des figures féminines, souvent des femmes malades, qui sont probablement les germes de sa danse. Car, pour Hijikata, la danse était basée sur une fêlure qui s’exprimait à travers des personnages malades physiquement ou mentalement."
De la même façon qu’elle a travaillé à partir des écrits d’Abé Kôbô dans La femme des sables et de Nijinski dans Faune, Montpetit n’illustre pas les passages de La danseuse malade dont elle a pu obtenir une traduction: elle en offre une résonance avec des images qui lui sont toutes personnelles. Par exemple, cette soeur qu’Hijikata a vue partir vendre son corps pour échapper à la famille fait retentir l’écho de sa propre histoire familiale.
"J’ai toujours entendu dire que ma grand-mère bien-aimée avait peut-être fait quelque chose comme ça en quittant la Gaspésie, confie Montpetit. Que ce soit vrai ou juste un mythe lié à cette grand-mère avant-gardiste, ça fait partie de ma psyché et de mon corps. Ce livre a éveillé des mises en action du corps, des mises en proposition du corps et des mises en focus de mes questionnements personnels, de ma propre enfance, des mémoires enfouies. C’est vraiment MA danseuse malade. En ce sens, c’est un grand hommage à Hijikata parce que c’est lui qui m’a permis d’être la danseuse de moi-même au lieu de rester la danseuse des autres."
Dans les fragments de personnages féminins qui peuplent cette nouvelle oeuvre se trouvent toutes sortes de traces, comme le jeu extasié d’une enfant handicapée observée dans une rue de Palerme. Et c’est là l’occasion pour Montpetit d’affirmer la féminité d’une écriture qu’elle dit avoir approfondie dans ses trois dernières oeuvres, toutes inspirées de grands noms de la danse: Nijinski, Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata.
"Pour moi, être une femme est d’une richesse extrême d’un point de vue chorégraphique parce que j’ai dû digérer les enseignements d’hommes en les faisant passer à travers un corps féminin, conclut-elle. Je revendique cette écriture féminine et ça fait partie de ma danseuse malade."