Michel Marc Bouchard : Le malentendu
Scène

Michel Marc Bouchard : Le malentendu

Quatre ans après Des yeux de verre, Michel Marc Bouchard est de retour au Théâtre d’Aujourd’hui. Sa plus récente pièce, Tom à la ferme, est pour ainsi dire une synthèse de son univers.

"J’ai eu envie d’écrire une pièce sur l’amour entre les hommes, lance Michel Marc Bouchard. Je l’avais fait de manière plus ou moins détournée auparavant, mais j’ai eu envie de le faire, pour une fois, de front." Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, c’est la première fois que Claude Poissant monte un texte de Bouchard dans la métropole. "Nous sommes des amis depuis plus de 25 ans, explique l’auteur. Il faut rappeler que le Théâtre PàP a produit la création des Feluettes, en 1987. Claude est un grand metteur en scène. Je suis ravi qu’il ait senti le désir de monter la pièce."

Plus encore que d’amour, c’est d’homophobie qu’il est question dans Tom à la ferme. Selon le créateur de 52 ans, qu’on le veuille ou non, le mépris des homosexuels est toujours bien présent dans notre société. Comme il l’écrit dans le programme du spectacle, chaque jour des personnes sont "injuriées, ostracisées, violentées, moquées, humiliées, blessées, battues, taxées, souillées, isolées, bafouées". "Ce n’est pas parce qu’il y a un très fort lobby gay, ou encore parce qu’on s’est donné des services, dans la communauté, qu’il n’y a pas des fatalités qui sont toujours là. La cour d’école, la campagne, ce sont encore des jungles. Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels continuent d’apprendre à mentir. Ça me tentait de prendre le scalpel et d’aller jouer là-dedans."

OEil pour oeil

L’action se déroule sur une ferme laitière. Tom (Alexandre Landry) est venu de la ville pour assister aux funérailles de son amant. Sa rencontre avec Agathe (Lise Roy) et Francis (Éric Bruneau), la mère et le frère du défunt, sera hautement troublante, gorgée de désirs et de mensonges. L’arrivée de Sara (Évelyne Brochu), une collègue de Tom, viendra mettre le feu aux poudres. Ici comme dans Le malentendu, une pièce d’Albert Camus qui a servi d’inspiration à Bouchard, les identités sont floues, mouvantes, fluctuantes. Chaque individu en évoque un autre. En deuil, en perte de repères, les personnages s’adonnent à des manipulations, des persécutions, des jeux de plus en plus cruels, et même sadomasochistes.

Pour s’initier à l’univers de Michel Marc Bouchard, la pièce est toute désignée. Imagerie religieuse, rapport ville-campagne, désir et animalité, mensonges et révélations… On retrouve dans Tom à la ferme des motifs présents dans Les feluettes, Les muses orphelines, Le chemin des Passes-Dangereuses, Sous le regard des mouches… "Toute ma vie, j’ai fait du bleu, explique l’auteur. Cette fois, c’est du bleu foncé. Toute ma grammaire est dans cette pièce, toutes mes obsessions. Une amie m’a même demandé s’il s’agissait d’un testament. Pourtant, je n’aurais pas pu écrire cette pièce avant. Elle est le fruit de ce que je suis ici et maintenant."

Et l’oeuvre n’aura trouvé tout son sens que lorsqu’elle rencontrera son public. "J’aime beaucoup les choses qui existent entre deux répliques. J’aime bien rendre mon public proactif. Je lui donne une intrigue, une histoire, et lui propose de remplir les trous, de se demander pourquoi le personnage agit comme il agit, comment il agirait, lui, à sa place… Je veux que le spectateur s’identifie, même si la situation n’a aucun sens. Je crois beaucoup à la catharsis. Elle me manque souvent au théâtre par les temps qui courent."

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Le théâtre d’aujourd’hui

Michel Marc Bouchard a beau oeuvrer de plus en plus souvent au cinéma (il travaille actuellement à l’écriture du prochain film de Mika Kaurismaki, portant sur la vie de la reine Christine de Suède et mettant en vedette Sarah Polley, ainsi qu’à une transposition de Roméo et Juliette durant les émeutes de Québec en 1918, pour le réalisateur Tim Southam), l’homme continue de trouver le temps de voir et de lire du théâtre québécois. Son point de vue sur notre dramaturgie actuelle est plutôt positif. "Elle est extraordinairement polyphonique, lance-t-il. J’ai le sentiment que le théâtre, actuellement, a envie de reprendre sa place dans la Cité, une position qu’il a perdue dans les années 90, un rôle de déclencheur de débats. Ce n’est pas toujours évident parce qu’on tente de réconcilier la quête esthétique, la recherche de forme, et maintenant le propos. Aujourd’hui, ce sont trois aspects qu’il faut absolument faire naviguer ensemble."