Pierre-François Legendre : Le refuge
Scène

Pierre-François Legendre : Le refuge

Après Il Campiello, de Goldoni, le Théâtre de l’Opsis poursuit son cycle italien avec Bar, de l’auteur contemporain Spiro Scimone. Pierre-François Legendre y interprète un des deux personnages.

Nino, incarné par Pierre-François Legendre, et Petru, joué par Marc Beaupré, sont deux hommes un peu paumés, qui se retrouvent quotidiennement dans l’arrière-salle du bar où Nino passe la serpillière et sert des bières, tout en rêvant de faire des cocktails, et où Petru lui raconte ses déboires avec la mafia locale, dont il aspire à devenir membre. Une relation d’amitié et de dépendance: "Petru est celui qui a accès au monde extérieur et le fait découvrir à Nino, explique Legendre. Il peut lui raconter ce qu’il veut et a besoin de lui pour se valoriser."

L’univers que dépeint Spiro Scimone (traduit par Jean-Paul Manganaro) est à la fois cruel et absurde, fortement teinté de cette Sicile où il est né et où les hommes semblent coincés entre la domination de la mafia et celle de la famille. Abonnés à l’échec, rêvant de lendemains qui chantent, Nino et Petru ne désespèrent pourtant jamais et continuent à échafauder des plans. "Ce que je trouve touchant dans cette pièce, explique Legendre, c’est que les personnages ne s’apitoient jamais sur leur sort. Ils peuvent faire pitié, et il y a des moments tragiques où on voit leurs faiblesses, mais ils ne s’en rendent pas compte. Même quand ils ont un éclair de lucidité, ça ne dure pas. Ils se créent un monde à part." Un monde où, comme chez Pinter, on sent poindre une menace derrière les répliques quotidiennes et les gestes anodins.

À coups de phrases courtes et de répétitions, parfaite illustration du fonctionnement mental et de la vie des deux personnages, Scimone raconte quatre jours de leur vie. Quatre jours qui auraient pu changer quelque chose, mais ne changeront rien car, vraisemblablement, rien ne changera jamais. "Ce n’est pas un théâtre psychologique, affirme le comédien. Nino et Petru ont environ 35-40 ans, mais l’auteur les fait réagir comme des enfants de 5 ou 6 ans. Ils se comportent en adultes quelques secondes puis leur attention dévie sur autre chose; leur pensée est très courte. C’est ce qu’on explore dans la mise en scène; il faut jouer avec beaucoup de naïveté."

L’arrière-salle du bar est manifestement pour eux un refuge contre la violence du monde extérieur, sentiment qui sera, semble-t-il, accentué par le décor d’Olivier Landreville. "La scénographie est toute petite, décrit Legendre. Il y a des caisses de bière et de vin, et une porte dont on imagine qu’elle mène au bar, mais ça ressemble à un radeau, ou à une petite île au milieu de l’océan, où ils sont en sécurité."

C’est la seconde fois que la metteure en scène Luce Pelletier fait appel à Pierre-François Legendre, qui avait incarné le personnage de Jason dans Le bruit et la fureur (2008). "Depuis que j’ai quitté Québec pour Montréal il y a six ans, j’ai fait beaucoup de télé et du cinéma, mais je savais que je ne laisserais jamais tomber le théâtre. Je trouve que c’est un luxe de jouer au théâtre car, en répétition, on travaille sur les personnages, sur le texte, on explore, on a le droit de se tromper. Et dès que j’entre sur scène, je sais pourquoi je fais ce métier."