Yves Jacques : Tour de Terre
"Je me souviens où j’étais quand le premier homme a marché sur la Lune. Je revois encore cette espèce d’image embrouillée", raconte Yves Jacques. Pour les 40 ans du Trident, le comédien replonge dans cet univers, et retourne sur La face cachée de la Lune.
Avec ce spectacle, Robert Lepage, auteur, metteur en scène et interprète de ce solo créé en 2000, avait transporté, ébloui le public. En 2001, il le confie à Yves Jacques qui, jusqu’en 2005, présente La face cachée de la Lune plus de 170 fois. Par la suite, Yves Jacques jouera aussi, en tournée, un autre solo, Le projet Andersen.
Le lien entre les deux artistes remonte à 1982 alors que, jeunes comédiens, ils se retrouvent sur scène, dans Piaf. "Robert, un peu effacé à l’époque, me disait qu’il m’enviait, se rappelle Yves Jacques. Je travaillais beaucoup. Il me disait: "Moi, je suis obligé de faire mes propres créations pour travailler. Toi, tout t’arrive." C’est drôle, parce que quelques années plus tard, c’est moi qui le regardais avec des yeux d’envie. J’étais fasciné par tout ce qu’il faisait." Aussi, lorsque, après quelques collaborations, Robert Lepage lui propose de le remplacer dans La face cachée…, Yves Jacques n’hésite pas. Enfin, pas vraiment. "J’ai dit oui tout de suite, mais je n’avais pas vu le spectacle… Après l’avoir vu, j’étais complètement sur le dos tellement c’est merveilleux, mais je pensais: "Je pourrai jamais jouer ça!" Robert trouvait fantastique que j’accepte; il y croyait beaucoup plus que moi…"
On connaît la richesse de l’imaginaire de Robert Lepage, la singularité de ses créations, son jeu dépouillé, son talent pour détourner les objets de leur fonction et en tirer des images saisissantes. Difficile de se glisser dans son monde? "Sachant la confiance qu’il avait en moi, ça a été facile. Et il m’a dit une très belle chose: "C’est dans la simplicité que tu vas trouver tout." On a travaillé et finalement, j’y suis arrivé, à mon grand bonheur. Et j’ai découvert tout un univers."
Après cinq ans, le comédien reprend la pièce. "Ça fait cinq ans que j’ai pas joué ça… On a eu des répétitions début novembre, et ce qui est fantastique, c’est que dans ma tête, le spectacle est toujours là. C’est comme remonter à bicyclette, ça vient tout seul. J’ai l’impression de retrouver un vieil ami, un vieux jouet: c’est très agréable."
Yves Jacques a joué La face cachée… en Amérique, en Europe, en Asie, en Océanie. "Partout, les réactions sont les mêmes, mais en fonction des moeurs de l’endroit. Par exemple, au Japon, c’est très respectueux, on ne s’esclaffe pas comme on le fait, par contre, au Mexique, où c’est la folie, le chaos dans la salle."
Dans cette création, Lepage raconte, sur fond de course à la Lune entre Soviétiques et Américains, la difficile réconciliation de deux frères à l’occasion du décès de leur mère. Et atteint le public, quelle que soit sa langue, sa culture. "Ce qui est impressionnant de faire la tournée avec les pièces de Robert, c’est qu’on a l’impression qu’il touche vraiment à l’essence de l’être humain, ce qui fait que ça marche partout. Robert sait trouver les travers de l’être humain, sait les décrire et les exploiter. Le sujet de la pièce, c’est la réconciliation entre deux frères, et la quête de l’homme: la grande découverte que l’humain a faite en allant sur la Lune, c’est qu’il a vu la Terre… C’est terrible, ce besoin de se voir partout, de toujours vouloir un miroir, de ne jamais pouvoir se projeter dans l’infini et dans le vide. C’est entre autres ça que la pièce raconte. Et c’est aussi un très bel hommage de Robert à sa mère. Et dans tout ça, tout le monde se retrouve."
Si, depuis 10 ans, Yves Jacques fait figure d’alter ego scénique de Robert Lepage, en quelque sorte, il poursuit tout de même ses propres projets. "Cette année, c’est assez particulier, parce que je vais alterner les deux pièces pendant tout l’hiver et le printemps. Ça fait un six mois de Lepage, mais ça me donne des moments, malgré tout, pour faire des films. Dans les prochaines années, j’aimerais bien me consacrer beaucoup plus au cinéma et moins au théâtre. À moins que Robert n’arrive avec un autre beau projet."
Regarde-t-on la Lune autrement, après ce séjour sur la planète Lepage? "Oui, ah oui, oui. Avant, j’y voyais toujours le Pierrot lunaire. Et là, je la vois vraiment comme… C’est comme si j’y étais allé, sur la Lune. C’est drôle, hein? J’ai une petite partie de moi qui est là. Après avoir joué La face cachée…, j’ai l’impression que je suis quelque part sur la Lune. Je pensais bien que j’en étais revenu, mais puisque je rejoue la pièce… ben, je repars pour un p’tit coup, là."