Tom à la ferme : Retrouver la liberté
Claude Poissant épouse avec dosage la force de frappe de Tom à la ferme, le nouveau Michel Marc Bouchard.
Avec sa plus récente pièce, Michel Marc Bouchard va indubitablement ravir ses admirateurs. Dans Tom à la ferme, il y a de la violence et du désir, des remords et des regrets, des pulsions de vie et de mort, des antagonismes terrifiants. Tout ce qu’il faut pour que la tragédie éclate. Mais aussi, heureusement, quelques touches d’humour, pour tempérer, agir comme une soupape.
Sur la ferme laitière où l’action se déroule, pour ainsi dire au milieu de nulle part, les souffrances du corps n’ont d’égal que celles de l’âme, la brutalité prend de multiples formes, le mensonge fait des ravages. Partout le secret, la dissimulation, les yeux clos et la sourde oreille. Si Tom le citadin débarque dans la ferme où a grandi celui qu’il aimait et dont il porte le deuil, s’il vient à la rencontre d’Agathe et Francis, la mère et le frère du défunt, c’est dans l’espoir de ressentir quelque chose, de donner un sens à la disparition de son premier amour.
Comment le jeune homme aurait-il pu soupçonner en prenant la route qu’il s’engageait dans une aventure qui allait transformer sa vie, une expérience limite, aussi souffrante qu’initiatique, éminemment cathartique? À vrai dire, de cette visite de courtoisie, personne ne sortira indemne. C’est que la mère et le frère ont beaucoup de choses à se reprocher. Ils ont tous les deux, à leur manière, commis des gestes irréparables. Des fautes qu’ils vont tout de même tenter, très maladroitement, de réparer.
Dans le respect de la tradition antique, Claude Poissant a choisi de ne pas représenter l’horreur, de la suggérer, de la traîner hors scène et de laisser les personnages en rapporter les stigmates sur le plateau, un lieu qui évoque à la fois la cuisine, la chambre et l’étable. Pareille sobriété tombe sous le sens dans une pièce où l’essentiel se joue dans la psyché des protagonistes. Le jeu et la mise en scène sont assez évocateurs pour nous entraîner de la grise église des funérailles au coffre arrière d’une voiture, en passant par la menaçante fosse aux vaches. Avec la musique, les clairs-obscurs, les images aussi fortes que fulgurantes, les cris dans la noirceur et les caresses qui deviennent tortures, Poissant entrelace rire, sexe et effroi avec une rare adresse.
Alexandre Landry donne à Tom l’androgynie, la délicatesse et la profondeur que le personnage exige. Un heureux mélange de vigueur et de consentement. Entre lui et Éric Bruneau, qui incarne avec beaucoup de nuances le rustre Francis, le courant passe. La scène où les deux hommes dansent la rumba cristallise toute la relation. Dans le rôle de la mère, Lise Roy est poignante, dans la retenue comme dans le déferlement. Dans les habits colorés de Sara, la collègue de bureau de Tom, celle par qui la vérité va enfin jaillir, Évelyne Brochu est irrésistible, désopilante.
S’il est une question qui traverse toute la pièce, bien plus que l’homophobie, la relation ville-campagne, l’industrialisation des fermes ou la perte de sens des citadins, une question plus fondamentale encore que celle du mensonge, c’est celle de la liberté. Gageons que Tom aura retrouvé la sienne au terme de son terrible périple.