Britannicus Now : Prendre racine
Musique

Britannicus Now : Prendre racine

Parce qu’il n’y a pas plus intemporel que la cruauté et le manque d’amour, Marilyn Perreault et Lilie Bergeron convoquent Racine à la poly pour Britannicus Now.

Racine (Jean de son petit nom) n’était pas le genre de monsieur à se laisser critiquer sans piper mot. Quand vint le temps de publier le texte de sa pièce Britannicus en 1670, le gigantesque dramaturge mit les points sur les i en interpellant dans sa préface ceux qui lui reprochaient d’avoir donné à voir un Néron trop cruel. "S’il a été quelque temps un bon empereur, il a toujours été un très méchant homme", répliquait-il.

Il faudra se lever de bonne heure pour s’obstiner avec Marilyn Perreault si l’on juge que son Britannicus Now, qui transpose dans une école secondaire les jeux de pouvoir dépeints par le maître français, verse dans l’invraisemblance ou l’enflure pathétique. Intimidation, harcèlement, gangs de rue, prostitution; la jeune auteure et comédienne a lu sur le sujet. Elle rapporte, avec un mélange de douleur et de fascination morbide, quelques exemples de barbaries juvéniles, malheureusement pas fictifs pour deux sous. À propos de l’affaire Reena Virk, qui avait atterré le pays tout entier en 1997 et à laquelle la pièce fait écho: "Les filles ont été épouvantables, elles lui ont écrasé des cigarettes dans la face, avant de la battre à mort."

Intervient alors la metteure en scène Lilie Bergeron, du Théâtre du Double Signe, qui entreprend de rediriger une discussion menaçant de s’embourber dans l’anecdote. Avec raison: Britannicus Now se contente de prendre racine dans ces dures réalités et ne navigue surtout pas dans les eaux factuelles du théâtre documentaire ou dans celles, moralisatrices, du théâtre d’intervention. "Ce qui m’a fascinée dans le texte, c’est l’intelligence des liens que Marilyn tisse avec Racine. Elle montre l’adolescence de façon très concrète, très brute, tout en transcendant le thème, en élevant la situation au rang de la tragédie. C’est un exercice très puissant. L’accumulation des différents niveaux donne le vertige."

CHEVAL FOU

Justine (Marilyn Perreault) emménage à Bedlam, banlieue grise sise au milieu de nulle part. Dès son entrée à la polyvalente, c’est l’heure des choix: acceptera-t-elle de joindre le clan des jupes du bourreau Delphine (Érika Tremblay-Roy) et de sa subalterne Becky (Véronique Laroche), ou préférera-t-elle celui des pantalons du souffre-douleur Britanny (Ariane Bisson McLernon)? Le premier organise des fêtes étourdissantes et fraie avec les Smashers de l’enjôleur Stan (Sylvain Carrier); l’unique représentante du deuxième se terre dans son coin et murmure ad nauseam les alexandrins de Britannicus que tout ce beau monde monte justement dans un cours d’art dramatique.

"Quand j’étais à l’école de théâtre, Racine me faisait chier, parce qu’il dit 14 fois de suite la même chose avec des mots différents. C’est dur d’en extraire la matière", admet Perreault, question de faire savoir qu’a priori ses mentors ne logeaient pas à la Comédie-Française. "J’ai voulu prendre le squelette, le cheval fou qui court tout au long de sa pièce et le mettre dans la mienne."

Le chevauchement du drame des jeunes femmes et de celui des Romains qu’elles interprètent, tout en effets miroir, ne sublimera cependant pas la violence – exit les vertus curatives du jeu – et exacerbera les tensions jusqu’à ce que Britanny devienne plus Britannicus que Britannicus. "On lui enlève tout ce qui pourrait lui permettre de se relever: first, il est empereur et Néron prend sa place, deux, on lui vole sa blonde, trois, il se fait empoisonner. C’est le même modus operandi avec l’intimidation. Les filles écartent tout le monde jusqu’à ce que leur proie n’ait plus de ressources."

ADOS, PAS ADOS?

En marge de la lecture de Britannicus Now aux Petits Dimanches matin du Double Signe en octobre 2009, le collègue Matthieu Petit demandait à son auteure à qui s’adressait son travail. Ados ou adultes? Pas encore clair, répondait-elle.

Nous reposons donc la même question. "On espère happer les deux, de façon différente. Ce qu’on raconte, tout le monde l’a déjà vécu… Les blessures de l’adolescence restent longtemps, elles font parfois même ce qu’on devient plus tard. Le secondaire, quand c’est rushant, c’est rushant longtemps. Moi, il y a une personne avec qui je suis allée à l’école… [Silence.] Tout ce que je fais dans la vie, c’est pour lui montrer qu’elle n’avait pas raison de dire que j’étais nulle. C’est resté là", laisse tomber Marilyn Perreault, le doigt sur le coeur, la pupille étincelante.

À voir si vous aimez /
La pièce Cette fille-là de Joan MacLeod, le film L’esquive d’Abdellatif Kechiche, le film Bully de Larry Clark

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CHEZ BRITANNICUS BAR

C’est devenu une rengaine: les artistes de la scène en Estrie réclament une salle de capacité moyenne, bien équipée sur le plan technique et dotée d’antichambres (vestiaire, billetterie, bar) qui placeraient le spectateur dans de réceptives dispositions. D’ici la pelletée de terre, le Double Signe pallie le manque comme il le peut en conviant son public à un verre-atterrissage dans un bar éphémère, aménagé dans une salle attenante au Théâtre Léonard-Saint-Laurent. "On veut que les gens vivent une expérience complète. On leur présente une pièce qui fait pow, c’est le fun de ne pas les "pitcher" dans le stationnement avec leurs réactions sur les bras", explique Lilie Bergeron.