Steve Gagnon / Alexandrine Warren : Pièce d'origine
Scène

Steve Gagnon / Alexandrine Warren : Pièce d’origine

Steve Gagnon et Alexandrine Warren se sont attaqués aux légendaires Roméo et Juliette en s’attardant non aux idées reçues, mais à la vérité des personnages. Démystification.

"Tout le monde a l’impression de connaître Roméo et Juliette de Shakespeare, remarque Steve Gagnon. Pourtant, énormément de gens n’ont jamais vu la pièce." En effet, on sait généralement qu’il s’agit d’une grande histoire d’amour impossible, voire qu’elle implique le fils et la fille de deux familles ennemies de Vérone qui, à la suite d’un funeste concours de circonstances, en viennent à se suicider. Mais encore?

L’oeuvre a beau avoir donné lieu à de nombreuses adaptations, notamment au cinéma, les deux comédiens croient que plusieurs fausses impressions subsistent à son égard. D’où l’intérêt de retourner aux sources. Dans cette optique, ils ont abordé les tourtereaux mythiques "comme n’importe quel autre rôle, en faisant fi de toutes les idées que les gens ont sur eux", indique Alexandrine Warren. Afin de se les approprier de manière personnelle, mais surtout, de saisir leur véritable nature.

"Selon moi, l’image qu’on a de Juliette, sans vraiment réfléchir à la pièce et la lire, est celle d’une jeune fille douce, tranquille, naïve, qui se fait embarquer par Roméo, poursuit-elle. Au contraire, ils sont vraiment ensemble là-dedans. Elle est beaucoup plus forte que je pensais." "À la limite, elle est plus forte que Roméo. Et plus rationnelle, aussi", renchérit son partenaire.

À son sens, le couple le plus célèbre du répertoire théâtral se rapproche davantage des amoureux actuels que des stéréotypes classiques, alors que Roméo s’avère impulsif, émotif et que Juliette n’a pas peur de s’affirmer, de prendre sa place. Leur caractère romanesque réside quant à lui dans la détermination avec laquelle ils luttent pour vivre leur passion. "Ce qui est beau et plus grand que ce qu’on rencontre quotidiennement, c’est leur conviction, leur courage, leur audace", admire-t-il.

Les comédiens observent de plus que le texte, malgré son raffinement, n’exige en rien le traitement propret ou esthétisant dont il a déjà fait l’objet. La vision du metteur en scène Olivier Lépine va d’ailleurs dans la direction opposée. "Pour lui, c’est sale, sanglant, violent. On exploite la dureté de la rivalité, des batailles", explique Alexandrine. L’ensemble partagerait ainsi des affinités avec le film de Baz Luhrmann, par son esprit sombre et contemporain.

Compte tenu du travail antérieur d’Olivier (Barbe bleue, Vertiges), on n’est pas non plus étonné d’apprendre que l’espace sera pratiquement vide, la scéno intemporelle, quoique de façon à montrer "que cette histoire a traversé les époques", spécifie Steve. En même temps, la présence de nombreux comédiens sur scène tendra à donner littéralement chair à la tragédie, à son urgence.

Et pour ceux qui anticipent une langue dense, poétique? Cette fois, l’attente se révèle justifiée. Les acteurs nous promettent de remuer ciel et terre pour rendre ces mots accessibles et en faire un délice plutôt qu’un obstacle, au gré des quelque trois heures de ce spectacle nous ramenant à l’origine du mythe.

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Roméo et Juliette

Un Roméo et Juliette moderne, dépouillé, aux images magnifiques vous attend à la Bordée: plateau dégagé, éclairages sculptant l’espace, costumes actuels. Le tout en noir et blanc: pureté de la jeunesse et de l’amour dans un univers d’autorité et de haine. L’ensemble, malgré quelques scènes moins réussies, en deuxième partie surtout, est lié par une grande cohésion, que servent efficacement l’ouverture et la finale saisissantes, et l’interprétation en général excellente – dont celle de Steve Gagnon en Roméo. On regrette cependant que le texte, dans la bouche de certains, ne soit pas toujours parfaitement intelligible. Olivier Lépine signe ici une proposition solide, au souffle ardent. (Marie Laliberté)