Karine Vanasse : Légitime défense
À 27 ans, Karine Vanasse fait ses débuts au théâtre. Sur les planches du Rideau Vert, la comédienne incarne le personnage principal d’In extremis, une pièce de l’États-Unien William Mastrosimone mise en scène par Jean-Guy Legault. On discute avec elle de cinéma, de théâtre et de féminisme.
Pour Karine Vanasse, donner une entrevue avant la première d’une pièce de théâtre est plus étrange encore que d’en donner une avant le dévoilement d’un film. "La véritable expérience, on ne l’a pas encore vécue, lance la comédienne. Il y a des choses qui ont beaucoup de sens maintenant, en salle de répétition, mais qui en auront bien plus, j’en suis certaine, une fois que le public sera là pour réagir."
Depuis 1999, on a vu la jeune femme dans Emporte-moi, de Léa Pool, Séraphin, de Charles Binamé, Sans elle, de Jean Beaudin, Ma fille, mon ange, d’Alexis Durand-Brault, Polytechnique, de Denis Villeneuve, et on la verra dès le 25 février dans Angle mort, un thriller de Dominic James. Beaucoup de "différé", donc, pour une comédienne qui ressent depuis le début de sa carrière une attirance viscérale pour le "direct".
L’instant présent
"J’ai toujours eu un engouement pour tout ce qui touche le live, explique Vanasse. Je ressentais ça à mes débuts en donnant des entrevues en direct. Je l’ai encore ressenti en animant la soirée des Jutra en 2009. Et c’est pour cette raison que j’ai voulu faire du théâtre, pour aller au bout de ça, de cette chose que j’ai amorcée, retrouver ce rapport à l’instant présent. Je sais que certaines personnes, qui m’ont cataloguée "comédienne de cinéma", se demandent ce que je viens faire au théâtre. Je ne monte pas sur scène avec l’intention de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit! Je n’ai pas le sentiment d’être arrivée quelque part, pas plus que d’avoir compris quelque chose. Au contraire, si je veux faire du théâtre, c’est pour continuer de chercher. Je suis contente de m’être décidée à le faire. Plus j’attendais et plus je risquais de ne pas en avoir le courage."
Pourtant, la comédienne n’en est pas tout à fait à sa première expérience sur les planches. Rappelons qu’elle a incarné en 2002, entre les murs du TNM et en tournée, le rôle-titre d’Irma la douce, un spectacle produit par Juste pour rire et mis en scène par Denise Filiatrault. "Pour moi, ce n’est pas la même chose parce qu’il s’agit d’une comédie musicale. En plus, j’étais jeune, je n’avais que 18 ans. Je me rappelle que pour ne pas me laisser dépasser par la situation, j’avais choisi de me concentrer sur une seule et unique chose: que Denise soit contente. Le reste, en fait, je ne l’ai pas vraiment vécu. Aujourd’hui, je profiterais davantage de l’expérience, j’aurais aussi plus de sensualité et de féminité à donner au personnage d’Irma."
Provoquer le hasard
Karine Vanasse avoue qu’elle ne croule pas sous les propositions de théâtre. "Après Irma la douce, je n’ai eu qu’une seule offre, que j’ai dû refuser à cause d’un conflit d’horaire. J’ai regretté d’avoir dit non. Ça aurait été formidable de travailler avec elle. Mais j’avais un peu peur. Je pense que j’étais trop jeune. C’est agréable quand les gens nous font confiance, mais des fois il faut être capable de reconnaître qu’on ne sera pas capable d’accoter cette confiance. Je ne veux pas vous dire de qui il s’agit, mais j’aimerais qu’elle sache que si elle veut me proposer autre chose, je suis totalement partante."
C’est ce qu’on appelle lancer une bouteille à la mer. Et c’est précisément ce que la comédienne a fait pour se retrouver aujourd’hui sur la scène du Rideau Vert. "J’ai appelé Denise Filiatrault pour lui dire que j’avais envie de plonger plus et différemment dans le travail. Que j’avais envie d’une petite équipe, d’un petit noyau de comédiens près d’un metteur en scène, d’une pièce à peu de personnages. Autrement dit, j’ai ouvert une porte. Denise et Jean-Guy m’ont fait une proposition impossible à refuser, un rôle qui me demande d’être hyper impliquée physiquement. C’est exactement ce que je voulais."
En endossant le personnage de Marjolaine, une victime capable d’autant de violence que son bourreau, la comédienne n’a jamais songé à briser son image de petite fille gentille. "Si les gens ont cette perception de moi, je pense que c’est parce qu’ils m’ont vue grandir. Jeune, en entrevue, je n’avais pas grand-chose à défendre. C’est en vieillissant que tes opinions se définissent, que tu vois l’importance de défendre un projet, des idées. Ça me surprend toujours quand on me parle de cette soi-disant image de bonne fille, parce que je n’ai pas vraiment joué des personnages de femmes douces, naïves ou vulnérables. Cela dit, je pense que cette perception change. On me pose encore la question, parce qu’elle flotte, mais j’ai vraiment le sentiment que ça s’estompe de plus en plus."
Chose certaine, Karine Vanasse a du flair, de l’instinct et du front. Au fil des ans, la comédienne et maintenant productrice a su, c’est indéniable, garder le cap. "Quand j’ai senti que je mélangeais tout, que je commençais à être plus fragile, je me suis retirée un peu. Ce n’est pas parce que tu es une personnalité publique qu’il faut que tu vives tout devant tout le monde tout le temps. Ça correspondait avec la période où je travaillais sur Polytechnique et je pense que ça m’a vraiment "groundée". Tout ça a eu un impact majeur sur la manière dont je participe à des projets maintenant."
Sonder les limites
La pièce de William Mastrosimone a été créée à New York, en 1982, avec Susan Sarandon dans le rôle principal. En 1986, Robert M. Young en fait un film, avec Farrah Fawcett. En 1987, au Quat’Sous, Serge Denoncourt dirige Isabelle Miquelon. En 2010, Bernard Lavoie confie le rôle à Isabel Rancier. Au Rideau Vert, Jean-Guy Legault a choisi de monter la traduction de Louison Danis et Roc Lafortune, celle réalisée pour la production du Quat’Sous il y a 24 ans, en apportant ici et là quelques correctifs qui s’imposaient. Autour de Karine Vanasse, on trouve Sébastien Gauthier, Julie Perreault et Geneviève Bélisle.
Truffée de jeux de pouvoir, de violences physiques et intellectuelles, de questions éthiques et d’enjeux de société, la pièce de Mastrosimone ne fait pas ses presque 30 ans. Après avoir été victime d’une tentative d’agression à domicile, Marjolaine se retourne contre son assaillant. La suite est tendue, troublante, angoissante. "En réalité, la pièce ne parle pas que du viol, explique Vanasse. Il est question de tous les types d’agressions, de ce sentiment de vengeance qui prend le dessus et de la loi qui ne cautionne pas les gestes posés par la victime, qui risque même d’en faire une coupable. Les différents points de vue sont représentés. Le spectateur reçoit tout ça en pleine face, il n’a pas le choix de s’insurger sans arrêt contre les paroles et les actes des uns et des autres."
Les séquelles physiques sont-elles plus graves que les séquelles psychologiques? À partir de quand la légitime défense devient-elle de la torture? Faut-il se faire justice soi-même puisque le système judiciaire, conçu et administré pour et par une majorité d’hommes, n’y parvient pas? Quelques-unes des nombreuses questions qui traversent la pièce. "Le but du système, c’est de discréditer la victime, estime Vanasse. Ça explique que plusieurs choisissent le silence. Quelle victime a le goût de revivre constamment le drame, de subir les préjugés? Parce qu’elle cristallise cette situation-là, qui n’a pas vraiment changé depuis les années 80, la pièce a clairement une portée féministe. Je serais contente si, dans plusieurs années, on arrivait à voir que ma ligne directrice, ce qui relie la plupart des projets dans lesquels je me suis investie, c’est cette idée du féminisme. Si j’arrive à ça sans me répéter, en étant chaque fois challengée, je serai vraiment heureuse."