Soupers : Jeu de société
Soupers, la plus récente création de Simon Boudreault, nous entraîne dans les dédales d’une solitude toute contemporaine.
On ne dit pas que les pièces de Simon Boudreault réinventent la roue. Sur le fond comme sur la forme, il est vrai qu’elles sont assez conventionnelles. Mais ses chroniques aigres-douces se penchent sur la vie des gens ordinaires de manière drôle et émouvante, elles visent juste et sonnent vrai. Ce qui n’est pas rien. L’homme a un talent qui manque cruellement à plusieurs de ceux qui tentent par les temps qui courent de croquer la galerie de "personnages" qui les entoure.
À vrai dire, l’auteur et metteur en scène attitré de Simoniaques Théâtre se saisit courageusement de l’ici et maintenant, observe ses contemporains avec beaucoup d’empathie et tout autant de lucidité. Après Sauce brune, qui donnait la parole à quatre femmes confinées aux cuisines d’une école secondaire, Boudreault signe Soupers, une pièce toute en chassés-croisés qui traite, elle aussi, de solitude et d’incommunicabilité, mais surtout des ravages que ce genre de situation peut causer, de l’ampleur que cela peut prendre dans nos sociétés individualistes.
Marc-Antoine a la trentaine, un sérieux surplus de poids et un boulot dans les jeux vidéo qui lui permet de quitter quotidiennement la dure réalité pour des univers virtuels. Au moment où on le rencontre, il ressent un immense désarroi affectif. Ce n’est pas sa mère, particulièrement étouffante, qui lui viendra en aide. Pas plus que sa soeur, égoïste, pour ainsi dire insensible, dépassée par son quotidien de mère monoparentale endettée. En fait, personne ne l’écoute vraiment. Si ce n’était de son chat, Guy, qui dépérit à vue d’oeil, Marc-Antoine serait totalement seul. En ce sens, le jeune homme est ni plus ni moins qu’une bombe à retardement.
Dans une salle transformée en restaurant, les clients-spectateurs sont témoins de rencontres houleuses entre le personnage principal et sa mère, ou sa soeur, ou sa collègue de travail. Les échanges sont souvent désopilants, ce qui rend les non-dits plus terrifiants encore. La partition bouleverse la chronologie des événements, entremêle habilement les tête-à-tête. De plus en plus essoufflé, de plus en plus rongé par son triste sort, Marc-Antoine court d’un souper à l’autre, d’une table à l’autre, d’une assiette à l’autre. On serait tenté de dire, parce que la mise en scène multiplie les clins d’oeil au jeu vidéo, que notre héros passe d’un niveau à l’autre.
Dans la peau de Marc-Antoine, Alexandre Daneau est particulièrement doué. Le comédien, qu’on ne voit pas assez sur nos scènes, exprime avec justesse la vulnérabilité de son personnage, mais aussi sa rage. Quand son trop-plein de détresse se transforme en agressivité, on frissonne. Sophie Clément, la mère, Caroline Lavigne, la soeur, et Catherine Ruel, la collègue de travail, incarnent leurs personnages intrinsèquement caricaturaux avec doigté, sans jamais forcer le trait.