Yann Martel : Bouteilles à la mer
Avec la présentation de Mais que lit Stephen Harper? sur la scène du CNA, l’auteur Yann Martel sonnera le glas de ce qu’il qualifie de long cul-de-sac épistolaire avec notre chef politique.
31 janvier 2011. Un timbre, une enveloppe, une lettre. Une adresse: le 24, promenade Sussex, Ottawa. Un geste élémentaire d’un citoyen passionné des oeuvres littéraires à l’endroit de notre chef d’État, Stephen Harper. Par cette 100e lettre débutant par le sempiternel "Dear Mr. Harper", son auteur, Yann Martel, concluait ainsi tout près de quatre années de suggestions littéraires bihebdomadaires. Une ultime lecture: la pièce Incendies de Wajdi Mouawad, que Harper pourra ajouter aux 99 autres qu’il a déjà reçues – et qui ratissent large, passant de Sagat à Hemingway. "Au départ, j’avais l’intention de continuer tant et aussi longtemps que Harper serait au pouvoir. Puis, je me suis rendu compte que cet acharnement était inutile. Il ne m’avait pas répondu après 10, 20, 50, 100 lettres; il était devenu clair qu’il n’allait pas me répondre", explique l’auteur d’un souffle, avant de poursuivre: "Je pourrais continuer, mais j’ai dit ce que j’avais à dire. Il va y avoir ce livre qui réunira les 100 lettres, et je crois qu’il va durer plus longtemps que M. Harper."
Demandez à Martel de vous parler du caractère archi-important de la lecture pour un dirigeant de la sorte, il vous répondra: "Un premier ministre doit être en partie un rêveur, comme Martin Luther King: "I have a dream". Je ne vois pas comment on peut avoir de grands rêves pour une société si on n’a pas lu de littérature." Interrogez-le, après coup, sur la façon dont sera monté un spectacle autour de ses lettres, et il se révélera un peu moins loquace: "J’en ai aucune idée!" laisse laconiquement tomber l’auteur, avant d’ajouter qu’il fait entièrement confiance à Wajdi Mouawad et son équipe.
Pour des éclaircissements, on devra se tourner vers Guy Warin, bras droit de Wajdi Mouawad au Théâtre français du CNA. "Lorsque Wajdi Mouawad et moi avons lancé l’invitation à Martel, nous savions déjà que l’événement serait à la fois artistique, politique et symbolique, à l’image même du geste de correspondance qu’a entrepris ce dernier: un geste artistique fait à l’endroit du politique. Ce que nous ne savions pas, c’était qu’il mettrait fin à ces envois et qu’il le ferait avec Incendies, venant ainsi donner une tournure toute particulière à la soirée, comme une sorte de point d’orgue", affirme Warin. Le spectacle, raconte-t-il, fera appel à une "quinzaine d’artistes de théâtre et de personnalités sensibles à la littérature. Ils liront quelques lettres signées par Yann Martel ainsi que des extraits tirés de la nouvelle "bibliothèque" de M. Harper".
Si cette célébration de la lecture spécialement dédiée à notre premier ministre – présentée dans une institution culturelle canadienne, faut-il le souligner – pourra être perçue comme un hargneux doigt d’honneur en sa direction, la lecture demeurera le sujet principal de la soirée. "Un premier ministre est quelqu’un qui a un pouvoir sur nous. Et c’est là où il est essentiel de lire. Pas qu’on puisse réduire la lecture à une espèce d’outil utilitaire, mais le fait est que la lecture est un merveilleux moyen d’explorer la vie, la condition humaine et l’autre géographie, celle qui est historique, religieuse, sexuelle. Ne jamais lire veut dire manquer cette opportunité de se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. Comment peut-on comprendre l’autre si on n’a le regard porté que sur nous?" conclut passionnément Martel.
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