Jean-Louis Sagot-Duvauroux : Une vérité qui dérange
Scène

Jean-Louis Sagot-Duvauroux : Une vérité qui dérange

Vérité de soldat, docufiction théâtral présenté sous forme de récit de confession, incorpore le bamanan au riche répertoire du Théâtre français du Centre national des Arts.

Fort du succès remporté, les saisons précédentes, par les pièces Krum et Hedda Gabler, le Théâtre français du CNA poursuit son projet consistant à intégrer à la programmation des textes interprétés dans une langue étrangère. À l’initiative de son directeur artistique, le dramaturge Wajdi Mouawad, l’institution ottavienne réitère également, avec Vérité de soldat, son désir de proposer des oeuvres à puissante connotation politique et sociale.

SOUCI D’AUTHENTICITÉ

Vérité de soldat exhibe un amalgame linguistique typique à la culture malienne, dans laquelle la pièce puise son essence. Le dramaturge Jean-Louis Sagot-Duvauroux détaille avec conviction le fondement justifiant l’emballage bilingue de son oeuvre, invoquant la nécessité de refléter avec exactitude la réalité lexicale du Mali, où le français est souvent juxtaposé au bamanan, et ce, au cours d’une même conversation. "La musicalité, la poésie propre d’une langue crée un univers unique. Ainsi, le bamanan assure à l’ensemble son authenticité, alors que les passages en français permettent autant au public de saisir les nuances du dialogue que de diminuer la tension à laquelle s’expose inévitablement le spectateur devant une langue lui étant étrangère", indique l’homme de théâtre. En France, en Belgique et au Luxembourg, où la tournée s’est déjà arrêtée, plusieurs spectateurs ont exprimé, après la représentation, leur impression de comprendre le bamanan, une sensation qui illustre à merveille la capacité de l’oeuvre à transgresser les frontières établies par les contraintes de la communication verbale.

L’éventail linguistique s’apparente, dans le cas présent, à une décision éditoriale. Bien que soient relativement nombreuses les pièces japonaises ou russes présentées à l’international dans leur langue originale, une logique similaire s’applique difficilement au cas des langues et dialectes africains, assure Jean-Louis Sagot-Duvauroux. "L’Afrique se trouvant dans une position construite, voire subalterne au reste du monde, les Occidentaux ont souvent l’impression que la culture africaine devrait s’adapter à son lieu de diffusion. Or, notre démarche s’inscrit dans une tentative de la part de deux parties de mieux comprendre la totalité qu’elles expriment", philosophe le créateur.

CONFESSIONS CONSCIENCIEUSES

L’idée du lieu commun est d’ailleurs une composante essentielle à la progression narrative de Vérité de soldat. Le récit, imaginé par Jean-Louis Sagot-Duvauroux et mis en scène par Patrick Le Mauff, s’appuie sur les témoignages réels de Soungalo Samaké (Adama Bagayoko) qu’a recueillis Amadou Traoré (Michel Sangaré). Samaké, d’abord soldat auprès de l’autorité coloniale française, passe dans l’armée malienne après l’indépendance, devenant rapidement un personnage-clé dans la mise sur pied d’un impitoyable régime militaire. Sorti de prison, où il était incarcéré en raison d’accusations de complot, il se confie à Traoré, une victime de la torture qu’il a infligée.

Se joindra au duo le personnage fictif de Catherine (Diarrah Sanogo), née d’un viol collectif que Samaké avait choisi de ne pas interdire. Catherine milite afin d’empêcher la publication des confessions du soldat, une position qui transmet avec justesse la controverse qui entoure lesdits documents au Mali, notamment à cause du questionnement sur la responsabilité du soldat qui émane de ces confessions. À ce sujet, Jean-Louis Sagot-Duvauroux explique: "Soungalo sait qu’il a mal fait, mais ne comprend pas exactement dans quelle mesure. Dans son rôle de tortionnaire, il se croyait fidèle au statut moral du métier de soldat ainsi qu’à des valeurs comme le courage et le refus de l’humiliation, qui correspondent à l’archétype bamanan." Dans cette optique, la vérité du soldat s’exprime, dans sa forme la plus rudimentaire, par une capacité à tuer son prochain.

Désireux d’éviter le piège de l’exposé didactique, le dramaturge reconnaît pourtant l’importante dimension historique de cette création parrainée par Alioune Ifra Ndiaye. De l’époque coloniale à la Troisième République, Vérité de soldat aborde l’histoire selon une perspective inédite. Conscient de la portée sociale de son geste artistique, Jean-Louis Sagot-Duvauroux conclut: "Cinquante ans après la révolution malienne, nous sortons du cadre des mythes patriotiques afin d’empoigner la vérité, de fouiller plus en profondeur dans ces secrets de famille."