La noce : Noces barbares
Mettant en avant la bestialité des personnages de La noce de Brecht, le metteur en scène Gregory Hlady en propose une lecture personnelle, mais outrancière.
La première question qui se pose est: parmi toutes les oeuvres de Brecht, pourquoi avoir choisi de monter cette oeuvre de jeunesse? Dans le contexte des années 1920, La noce, racontant un repas de mariage qui tourne mal, avait quelque chose de résolument novateur dans la forme (apparition de la distanciation, utilisation du décor comme un élément à part entière de l’action, dialogues frisant l’absurde, allusions sexuelles…) et de provocateur dans le fond, avec sa critique virulente des valeurs de l’époque: mariage, famille, virginité, convenances… Aujourd’hui, loin de crier au scandale, on remarque plutôt la faiblesse du texte, sa maladresse même, par exemple dans la surutilisation de la métaphore des meubles s’effondrant les uns après les autres pour signifier la désintégration des valeurs traditionnelles.
À voir la lecture proposée par Gregory Hlady sous la bannière du Groupe de la Veillée, on est tenté de penser qu’il trouve lui-même le texte mince, car il l’a littéralement dissous dans sa mise en scène. S’attachant à mettre en avant le sous-texte (irrespect, agressivité, animalité des personnages), il a créé un univers chaotique, presque surréaliste, où les personnages sont volontairement caricaturaux, où la continuité des dialogues est brisée, et où les pulsions sexuelles sont omniprésentes et ostensibles. Ce parti pris – qui s’inscrit dans la continuité de son travail – n’est pas inintéressant, mais le metteur en scène a malheureusement péché par manque de mesure, et l’outrance finit par nous noyer. Notons toutefois que les comédiens sont, dans l’ensemble, très à l’aise dans ce registre.
Vis de fixation (ou vices de forme)
Tous les types de vis se rencontrent dans l’ameublement convivial et sécuritaire d’une noce : têtes fendues, têtes carrées, têtes étoilées. Comment les assembler? À la manière IKEA! Y aura-t-il des solutions de rangement par de savants calculs de résistance? Existe-t-il une politique de retour si les produits s’avèrent dysfonctionnels? Si le marié avait su…
En 1919, quelque part en Allemagne (accueil enjoué en salle par la mère, Diane Ouimet), des convives à un mariage de convention d’après-guerre s’adonneront allègrement et sans pudeur à un exercice éclatant d’auto-perforation sans promesse de raccordement. C’est l’écroulement mobilier du quotidien à coups de culs bien sentis. L’alcool coule à flots dans le sang et inspire même les plus timides (l’homme, entre autres, joué par Alex Bisping qui étonne à merveille par ses sorties à l’emporte-pièce passant de martyr à brute) qui comprendront que cruauté bien ordonnée commence par soi-même dans cette orgie de mots savamment orchestrée. On trinque, on mange, on parle, on raconte, on danse, on chante, on hurle, on se frappe. Jusqu’à la prochaine panne imprévisible, on se tait à l’excès pour en dire davantage.
Scénographie (quelle armoire mystérieuse pour qui lit bien le regard du corbeau!), costumes, lumière et environnement sonore angoissant (surtout Cold Song de Henry Purcell venant sonner le glas, – sans Klaus Nomi toutefois – : « Let me, let me, Freeze again to death! ») contribuent à l’esthétique destructrice et permettent aux acteurs d’être au cœur de la création, de la récréation et de la décréation. Gregory Hlady, grâce à sa vision taraudée, est un magnifique tournevis-tournevices. Paul Ahmarani est dans son élément comme les poissons sur l’écran aquarium : il se déplace en tous sens sur la scène devenue le symbole d’un naufrage collectif ou d’une porcherie, c’est selon. Le père, Denis Gravereaux, sur sa chaise balançoire, joue de sénilité sympathique dans le récit de ses histoires rocambolesques. Quant à la femme (Enrica Boucher), à la mariée (Stéphanie Cardi) et à la sœur (Isabelle Leclerc), elles se « lasciveront » à qui mieux mieux.
La table est mise. La juste noce fera tout pour démontrer que le mariage n’est que la noble poursuite de la guerre que se livre le couple pour survivre en société à partir de la lune de fiel. « Et quand le théâtre est terminé, commencent les choses sérieuses. » Tout est désormais permis quand la serrure casse : la mariée est enceinte, mais le lit demeure le seul espoir, s’il en est encore un…
Fracassant!