Correspondances : Prendre des nouvelles
Scène

Correspondances : Prendre des nouvelles

Correspondances, la nouvelle création des Porteuses d’aromates, pose avec sérieux et dérision la délicate question de l’identité nationale.

La Libanaise Carole Ammoun, le Belge Olivier Coyette et la Québécoise Evelyne de la Chenelière ont en commun d’être artistes de théâtre, de parler français et de vivre dans un pays dont l’identité nationale est chancelante. Il n’en fallait pas plus pour que Marcelle Dubois leur propose de croiser le fer. De leurs échanges, la directrice des Porteuses d’aromates a fait un spectacle vibrant, drôle et émouvant, important parce qu’il jette des ponts entre trois cultures, ce qui n’est pas courant chez nous, mais aussi parce qu’il relie l’intime et le collectif, l’amour et la haine, le désir de s’enraciner et celui de s’arracher une fois pour toutes au sol qui nous a vu naître.

Depuis la salle, Marie-Michelle Garon joue l’alter ego de la metteure en scène. Tout au long du spectacle, elle pose à Sounia Balha, Olivier Kemeid et Emmanuelle Jimenez, les comédiens qu’on a choisis pour incarner les créateurs, des questions pièges, des questions qui obligent à se positionner, à se souvenir, à sonder ses convictions profondes, autrement dit à prendre la parole haut et fort, sans tricher. L’interrogatoire est serré, révélateur, les confessions sont parfois poignantes et souvent désopilantes.

On se moque avec beaucoup d’esprit des clichés et du folklore, on déboulonne savamment les lieux communs et les idées reçues. Mais on ose aussi aborder les conflits à caractère politique, religieux ou linguistique qui opposent douloureusement les communautés qui cohabitent au sein d’un pays. Il faut de l’audace dans une société qui ne jure que par le divertissement pour parler dans un seul et même spectacle des demandeurs d’asile à Bruxelles, du suicide de l’écrivaine Nelly Arcan à Montréal et du terrible chaos qui est le quotidien des habitants de Beyrouth.

C’est surprenant mais de toutes ces idées, de toutes ces déclarations, de tous ces instantanés, plus évocateurs que n’importe quelle carte postale, il surgit de purs moments de théâtre. C’est probablement parce que les révélations comportent en soi une certaine dose de théâtralité, mais c’est aussi grâce à la mise en scène, alliage sobre et ingénieux de solos, duos et trios, de scènes traditionnelles et de chansons.

Dans le discours des trois individus, on entend clairement les tensions, dualités et antagonismes qui tenaillent le coeur et l’esprit. En discutant avec son double, une marionnette irrévérencieuse, Evelyne exprime toute la schizophrénie d’un pays qui n’en est pas encore un. En nous entraînant dans le bureau d’un censeur véreux, Carole nous fait goûter au combat toujours politique des artistes de son pays. En crachant avec verve sur l’étroitesse d’esprit dont l’État belge sait faire preuve envers la jeunesse et ses idéaux, Olivier fait entendre le grondement de la révolte.

Au bout du voyage, riche en émotions, on comprend que si "l’Eldorado et le paradis perdu sont des vues de l’esprit", si l’herbe n’est pas plus verte chez le voisin mais seulement d’un autre ton de vert, il revient à chacun d’entre nous de faire de son bout du monde un endroit où il fait bon vivre. Nos trois héros vont continuer de voyager, continuer de prendre des nouvelles de leurs contemporains, continuer de partir pour mieux revenir. Leur mouvement, leurs allers-retours, c’est la vie même, leur richesse et la nôtre.